Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du roi de Sardaigne? — Qui? moi? » Ici de Maistre distingue avec un ironique respect la maison d’Autriche du cabinet autrichien : c’est, dit-il, avec la maison que subsistent les alliances, les parentés, la justice, la bonne foi, et c’est le cabinet qui n’a ni foi, ni loi, ni honneur; or c’est le cabinet qui gouverne. Que dit donc le cabinet? « Laissons chasser le roi de Sardaigne, nous reprendrons ses possessions aux Français. — Qui? moi? » Ainsi en effet a-t-il pris Bologne au pape; ainsi a-t-il partagé les états de Denise; ainsi a-t-il fait le traité d’Amiens, «chef-d’œuvre de politique délicate, de vues profondes, d’élégante clarté; qui? moi? » Ainsi encore, quand Souvarof proposait au cabinet autrichien de rétablir le roi de Sardaigne, ce cabinet lui répondait : Non. Et lorsqu’un plénipotentiaire français disait à Lunebourg : Il faudra cependant penser à placer le roi de Sardaigne de quelque manière, ce n’est pas la maison certes, mais bien le cabinet qui répondait : Et quelle nécessité qu’il y ait un roi de Sardaigne? « Dieu nous préserve, ajoute de Maistre, de soupçonner que la maison entre pour quelque chose dans cette pensée aimable! — Qui? moi? » Cette lettre est de 1812. Aussi ne trouve-t-il jamais l’expression trop forte quand il s’agit de son aversion pour cette dangereuse rivale. « Si je n’ai point de fiel contre la France, n’en soyez pas surpris, je le garde tout pour l’Autriche... Cette maison d’Autriche (ce n’est plus, comme on voit, le cabinet) est une grande ennemie du genre humain, et surtout de ses alliés. Je la déteste cordialement. » Après la chute de Napoléon, il s’opposait encore à la ligue des princes italiens, proposée par l’Autriche : les motifs qu’il alléguait au comte de Nesselrode, au nom du roi, étaient « qu’il n’y aurait plus, après une telle alliance, d’équilibre, plus d’égalité politique, que l’Italie s’y éclipserait, que tous les princes italiens ne seraient plus que les vassaux de l’Autriche, et que bientôt ils n’existeraient plus. »

Cette haine constante, réfléchie, quelquefois exagérée dans l’expression, ne s’adressait donc pas seulement, comme on l’a dit, à l’Autriche des Kaunitz et des Thugut; elle avait pour cause une rivalité « naturelle » entre les deux puissances, c’est lui-même qui le dit, naturelle par le seul fait de la présence d’un gouvernement autrichien en Italie. Il sentait d’ailleurs trop bien qu’une nation qui a une langue, une littérature, une histoire, ne doit pas être sujette d’une autre nation, et sans doute il aurait demandé l’affranchissement de la Lombardie, lors même que le Piémont n’y aurait eu aucun intérêt. J’en citerai pour preuve un passage trop peu remarqué dans le livre du Pape: c’est une généreuse pensée qu’il n’a jamais démentie, et je ne sais si on trouverait ailleurs une revendication mieux motivée, plus grave ou plus profondément sentie du droit de nationalité. « Le plus grand malheur pour l’homme politique, dit-il,