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Mais il n’avait pas attendu si tard pour juger cet ancien régime monarchique que la révolution faisait tomber partout où elle pouvait atteindre. Il ne s’y est trompé qu’un instant, et il s’est promptement aperçu de la fragilité de ces vieux édifices qu’on appelait des gouvernemens forts. Dès 1794, il déclarait « qu’une révolution quelconque lui paraissait infaillible dans tous les gouvernemens. » — « Vous me dites que les peuples auront besoin de gouvernemens forts, sur quoi je vous demande ce que vous entendez par là? Si la monarchie vous paraît forte à mesure qu’elle est plus absolue, dans ce cas Naples, Madrid, Lisbonne, etc., doivent vous paraître des gouvernemens vigoureux. Vous savez cependant et tout le monde sait que ces monstres de faiblesse n’existent plus que par leur aplomb. Soyez persuadé que, pour fortifier la monarchie, il faut l’asseoir sur les lois, éviter l’arbitraire, les commissions fréquentes, les mutations continuelles d’emplois et les tripots ministériels. » L’année suivante, il écrit de nouveau au secrétaire d’état contre le gouvernement militaire, qui est, dit-il, « l’horreur de ce siècle, » et vers le même temps il répète sa pensée, avec quelques précautions adroites, au roi lui-même, en lui conseillant de « satisfaire pleinement sur ce point l’opinion générale. » Enfin en 1804, écrivant au comte d’Avaray, il avoue franchement que la situation grandit de plus en plus à ses yeux. Il s’agissait de «tourner l’opinion » en faveur de Louis XVIII et de préparer un changement désiré; mais où en était l’opinion? que lui promettre? quels seront les besoins? qu’aura laissé la révolution après elle? « La révolution en France, lui dit-il, est trop grande pour la tête d’un homme. Au commencement, j’ai battu la campagne comme tous les autres, et j’ai été un peu moins sot que les autres, en ce que je me suis douté plus tôt que je l’étais; depuis que j’ai commencé à comprendre de quoi il s’agissait, je suis devenu timide, et j’ai appris à me défier de tous nos petits calculs. »

Ce qu’il demande aux institutions libres, c’est qu’elles conviennent au pays qui les adopte, c’est qu’elles soient tirées de son passé historique; il n’y a point de nation en Europe « qui n’ait, dit-il, dans les monumens les plus purs de sa législation, tous les élémens de la constitution qui lui convient. » Si ce peuple ne sait pas en tirer parti, « il est fort inutile qu’il en cherche d’autres : c’est une marque qu’il n’est pas fait pour la liberté, ou qu’il est irrémissiblement corrompu. » La représentation nationale, historiquement, ne se trouve-t-elle pas dans toutes les monarchies de l’Europe? « Elle est vivante dans la Grande-Bretagne; ailleurs, elle est morte ou elle dort. » C’est pourquoi, s’il admire la constitution anglaise, il ne