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châtiment. Puis, roulant et développant dans son esprit la pensée religieuse comprise sous ce mot, il se demanda où était le crime qui avait appelé ce châtiment, et à quelle fin la Providence avait si rudement châtié. On voit déjà d’ici toute la question agitée dans les Soirées de Saint-Pétersbourg. C’est là en effet que naît sa théorie célèbre de l’expiation; c’est dans les faits de la révolution qu’il a d’abord lu ce problème, et elle fut pour lui en quelque sorte le coup de foudre qui mit le feu à son génie.

Quelle est donc la cause, quel sera le résultat de la révolution, considérée comme une manifestation de la Providence et comme un châtiment d’en haut? La cause n’en peut être que dans des crimes antérieurs; mais lesquels? Ceux-là seuls sont-ils coupables qui, dans l’incertitude des esprits et l’entraînement des premiers jours, ont «conseillé, approuvé, favorisé» les premières mesures révolutionnaires? Mais s’ils ont « embrassé la révolution française par un pur amour de la liberté et de la patrie, s’ils ont cru en leur âme et conscience qu’elle amènerait la réforme des abus et le bonheur public[1], ils peuvent être excusés sur leur bonne foi, » pourvu néanmoins que, sous ces beaux sentimens, il n’y ait pas, dans les profondeurs de la conscience, «une fibre coupable, » et qu’une brouillerie ridicule, un petit froissement de l’orgueil, une passion basse, une hypocrisie greffée sur la trahison, n’aient pas été leur mobile caché. Néanmoins les vraies causes, la culpabilité incontestable, remontent plus haut. Les vrais coupables sont les lettrés, les prêtres et les nobles : les lettrés, qui ont travaillé à affranchir le peuple de ses croyances religieuses, ou attaqué les bases de la propriété; le clergé, « que les richesses, le luxe et la pente générale des esprits avaient fait dégénérer, » qui souvent « cachait sous le camail un chevalier au lieu d’un apôtre, » et qui, surtout dans les derniers temps, était descendu, à peu près autant que la noblesse, de la place qu’il avait occupée dans l’opinion générale; enfin, en troisième lieu, la noblesse, qu’il traite (et elle était alors décimée et proscrite!) avec une dureté extrême, disant que « sa dégradation morale » fut la principale cause de la révolution, et qu’en la comparant aux portraits de ses aïeux, « on voyait avec évidence que ces races avaient dégénéré. » La noblesse, dit-il encore, ne doit s’en prendre qu’à elle-même de tous ses malheurs. Et que l’émigration ne crie pas contre ceux qui ont joué un rôle dans la révolution! Les causes de sa chute sont bien antérieures à ces événemens, et « tel noble à Coblentz pouvait avoir de plus grands reproches à se faire que tel noble du côté gauche de l’assemblée constituante. »

  1. Considérations sur la Finance, ch. 2.