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ils sont patiens, et la patience arabe est une arme de trempe extraordinaire dont le secret leur appartient, comme celui de leur acier. Ils sont donc là, tels qu’on les a vus de tout temps, dans leurs rues sombres, fuyant le soleil, tenant plus que jamais leurs maisons closes, négligeant le trafic, économisant leurs besoins, s’ environnant de solitude par précaution contre la foule, se prémunissant par le silence contre les envahissemens d’un fléau aussi grand pour eux que tous les autres, les importuns.

Leur ville, dont la construction même est le plus significatif des emblèmes, leur ville blanche les abrite, à peu près comme le burnouss national les habille, d’une enveloppe uniforme et grossière. Des rues en forme de défilés, obscures et fréquemment voûtées ; des maisons sans fenêtres, des portes basses ; des échoppes de la plus pauvre apparence ; des marchandises empilées pêle-mêle, comme si le marchand avait peur de les montrer ; des industries presque sans outils, certains petits commerces risibles, quelquefois des richesses au fond d’un chausson ; pas de jardins, pas de verdure, à peine un pied mourant de vigne ou de figuier qui croupit dans les décombres des carrefours ; des mosquées qu’on ne voit pas, des bains où l’on va mystérieusement, une seule masse compacte et confuse de maçonnerie, bâtie comme un sépulcre, où la vie se dérobe, où la gaieté craindrait de se faire entendre : telle est l’étrange cité où vit, où s’éteint plutôt un peuple qui ne fut jamais aussi grand qu’on l’a cru, mais qui fut riche, actif, entreprenant. J’ai parlé de sépulcre, et j’ai dit vrai. L’Arabe croit vivre dans sa ville blanche ; il s’y enterre, enseveli dans une inaction qui l’épuisé, accablé de ce silence même qui me charme, enveloppé de réticences et mourant de langueur.

Tu sais à quoi se réduit ce qu’on aperçoit de sa vie publique, ce que j’appelle par analogie son industrie ou son commerce ; la statistique est ici des plus simples : des brodeurs sur étofiés, des cordonniers, des marchands de chaux, des bijoutiers du dernier ordre, des grainetiers vendant à la fois des épices et du tabac ; des fruitiers approvisionnés,’ suivant la saison, d’oranges ou de pastèques, de bananes ou d’artichauts ; quelques laiteries, des barbiers surtout, des boulangeries banales et des cafés. Cette énumératioti, qui n’est pas complète, donne au moins la mesure assez exacte des besoins ; elle définit mieux que toutes les redites les causes matérielles de cette tranquillité sans exemple où ce peuple se complaît, et c’est la seule chose qui m’importe en ce récit.

Quant à la vie privée, elle est, comme dans tout l’Orient, protégée par des murs impénétrables. Il en est des maisons particulières comme des boutiques ; même apparence discrète et même