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« Comme les rayons empruntés de la lune et des étoiles — luisent vainement pour le voyageur seul, las et égaré, — ainsi la pâle raison luit vainement pour l’âme. Et comme — ces feux roulans ne découvrent que la voûte céleste — sans nous éclairer ici-bas, tel le rayon vacillant de la raison — nous fut prêté, non pour assurer notre route incertaine, — mais pour nous guider là-haut vers un jour meilleur. — Et comme ces cierges de la nuit disparaissent — quand l’éclatant seigneur du jour gravit notre hémisphère, — ainsi pâlit la raison quand la religion se montre, — ainsi la raison meurt et s’évanouit dans la lumière surnaturelle.

« ….. O Dieu miséricordieux, comme tu as bien préparé — pour nos jugemens faillibles un guide infaillible ! — Ton trône est une obscurité dans l’abîme de lumière, — un flamboiement de gloire qui interdit le regard. — Oh! enseigne-moi à croire en toi, tout caché que tu demeures, — à ne rien chercher au-delà de ce que toi-même as révélé, — à prendre celle-là seule pour ma souveraine — que tu as promis de ne jamais abandonner! — Ma jeunesse imprudente a volé parmi les vains désirs ; — mon âge viril, longtemps égaré par des feux vagabonds, — a suivi des lueurs fausses, et quand leur éclair a disparu, — mon orgueil a fait jaillir de lui-même d’aussi trompeuses étincelles. — Tel j’étais, tel par nature je suis encore. — A toi la gloire, à moi la honte. — Que toute ma tâche maintenant soit de bien vivre! Mes doutes sont finis[1]. »


Telle est la poésie de ces âmes sérieuses. Après avoir erré dans les débauches et les pompes de la restauration, Dryden entrait dans les graves émotions de la vie intérieure ; quoique catholique, il sentait en protestant les misères de l’homme et la présence de la grâce ; il était capable d’enthousiasme. De temps en temps un vers viril et poignant décèle, au milieu de ses raisonnemens, la puissance de la conception et le souffle du désir. Quand le tragique se rencontre, il s’y asseoit comme dans son domaine ; au besoin, il fouille dans l’horrible, Dryden a décrit la chasse infernale et le supplice de la jeune fille déchirée par, les chiens avec la sauvage énergie de Milton[2]. Par contraste il a aimé la nature ; ce goût a toujours duré en Angleterre ; les sombres passions réfléchies se détendent dans la grande paix et l’harmonie des champs. Au milieu de la dispute théologique se développent des paysages ; il voit « de nouveaux bourgeons fleurir, de nouvelles fleurs se lever, comme si Dieu eût laissé en cet endroit les traces de ses pas et reformé l’année. Les collines pleines de soleil brillaient dans le lointain sous les rayons splendides, et, dans les prairies au-dessous d’elles, les ruisseaux polis semblaient rouler de l’or liquide. Enfin ils entendirent chanter le coucou folâtre, dont la note proclamait la fête du printemps. » On démêle sous ces vers réguliers une âme d’artiste ; quoique rétréci par les habitudes du raisonnement classique, quoique raidi par la controverse et la

  1. Religio Laïci, Hind and Panther.
  2. Theodore and Honoria.