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pense, hors le mérite. — Pillé par des parasites qui encore lui vinrent trop tard, — il avait son bon mot, ils avaient son domaine. — Ses bouffonneries l’avaient chassé de la cour ; il se consola — à former des partis sans pouvoir être chef. — Ainsi, pervers de volonté, impuissant d’action, — il suivait les factions, qui ne le suivaient pas. »


Contre les malédictions, Shaftesbury se raidissait ; accusé de haute trahison, il était absous par le grand jury, malgré tous les efforts de la cour, aux applaudissemens d’une foule immense, et ses partisans faisaient frapper une médaille à son image, montrant audacieusement sur le revers le soleil royal obscurci par un nuage. Dryden répliqua par son poème de la Médaille, et la diatribe effrénée rabattit la provocation ouverte :


« Oh ! si le crayon qui a copié toutes ses grâces, — et labouré de tels sillons pour cette face d’eunuque, — avait pu tracer sa volonté toujours changeante! — Ce travail infini eût lassé l’art du graveur: — beau héros de bataille d’abord, et, comme un pygmée que le vent emporte, — lancé dans la guerre par une inquiétude prématurée ; — général sans barbe, rebelle avant d’être homme, — tant sa haine contre son prince commença jeune ! — Puis vermine frétillante dans l’oreille de l’usurpateur, — trafiquant de son esprit vénal contre des masses d’or, — il se jeta dans le moule des saints cafards, — gémit, soupira, pria, tant que la cafardise fut un lucre, — la plus bruyante cornemuse du glapissant cortège ! »


Dryden porta la même amertume dans la controverse religieuse. Les disputes de dogme, un instant rejetées dans l’ombre par les mœurs débauchées et sceptiques, avaient éclaté de nouveau, enflammées par le catholicisme bigot du prince et par les craintes justifiées de la nation. Le poète qui, dans la Religion d’un laïque, était encore anglican tiède et demi-douteur, entraîné peu à peu par ses inclinations absolutistes, s’était converti à la religion catholique, et, dans son poème de la Biche et la Panthère, combattit pour sa nouvelle foi. « La nation, dit-il en commençant, est dans une trop grande fermentation pour que je puisse attendre guerre loyale ou même simplement quartier des lecteurs du parti contraire. » Et là-dessus, empruntant les allégories du moyen âge, il représente toutes les sectes hérétiques comme des bêtes de proie acharnées contre une biche blanche d’origine céleste, n’épargnant ni comparaisons brutales, ni sarcasmes grossiers, ni injures ouvertes. Aussi la discussion est toute serrée et théologique. Ses auditeurs ne sont pas de beaux esprits intéressés à voir comment on peut orner une matière sèche, théologiens par occasion, et pour un moment avec défiance et réserve, comme Boileau dans son amour de Dieu. Ce sont des opprimés à peine soulagés depuis un instant d’une persécution séculaire, attachés à leur foi par leurs souffrances, respirant à demi