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populacières et basses. « C’est que, outre le manque de savoir et d’éducation, ils n’avaient pas le bonheur d’entendre la bonne conversation. Il y avait dans leur siècle moins de galanterie que dans le nôtre. Les gentilshommes aujourd’hui veulent qu’on les divertisse en leur montrant leurs propres ridicules. Ils veulent bien accorder que votre compère Jean et votre compère Jacques parlent selon leur état ; mais ils ne s’amusent point de leurs pots à bière et de leurs guenilles. » C’est pour eux maintenant qu’on doit écrire, et surtout pour les plus instruits[1], car ce n’est pas assez d’avoir de l’esprit ou d’aimer la tragédie pour être bon juge : il faut encore posséder une solide science et une haute raison, connaître Aristote, Horace, Longin, et prononcer d’après leurs règles. Ces règles, fondées sur l’observation et la logique, ordonnent qu’il n’y ait qu’une action, que cette action ait un commencement, un milieu et une fin, que ses parties dérivent naturellement l’une de l’autre, qu’elle excite la terreur et la pitié de manière à nous instruire et à nous améliorer, que les caractères soient distincts, suivis, conformes à la tradition ou au dessein du poète. — Telle sera, dit Dryden, la nouvelle tragédie, fort voisine, ce semble, de la tragédie française, d’autant plus qu’il cite ici Bossu et Rapin comme s’il les prenait pour précepteurs.

Elle en diffère néanmoins, et Dryden[2] énumère tout ce qu’un parterre anglais peut blâmer chez nous. — Les Français, dit-il, n’ont point de caractères vraiment comiques : à peine si Corneille en a mis un dans son Menteur ; tous leurs personnages se ressemblent, ce sont des êtres effacés, sans originalité distinctive. Le Menteur, quoique bien traduit et bien joué, a paru plat aux Anglais et fort au-dessous des caractères de Fletcher et de Ben Jonson. Pareillement leurs intrigues sont trop maigres, trop réduites à une action unique, privées de l’accompagnement des petites actions secondaires. D’ailleurs ils parlent au lieu d’agir. « Cinna, Pompée, ne sont point des tragédies, mais de longs discours sur la raison d’état, et Polyeucte, en matière de religion, est aussi solennel qu’un long point d’orgue dans un motet. Quand le cardinal Richelieu réforma le théâtre français, on y introduisit ces harangues pour l’accommoder à la gravité d’un prélat….. Je ne nie pas que cela ne puisse convenir à l’humeur des Français ; nous qui sommes plus moroses, nous venons au théâtre pour être divertis ; eux qui sont d’un tempérament gai et léger y viennent pour se rendre plus sérieux. » Quant aux tumultes et aux combats, qu’ils rejettent derrière la scène, « il y a une sorte d’âpreté farouche dans le caractère de nos compatriotes qui les réclame et

  1. Préface de All for Love.
  2. Essay on Dramatic Poesy.