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avaient établi, ici comme en France, la classe, l’autorité, les mœurs et les goûts des gens du monde, hommes de salons et de loisir, amateurs de plaisir, de conversation, d’esprit et de savoir-vivre, occupés de la pièce en vogue moins pour s’en divertir que pour la juger. Ainsi se bâtit le théâtre de Dryden ; le poète, avide de gloire et pressé d’argent, y trouvait l’argent avec la gloire, et innovait à demi, à grand renfort de théories et de préfaces, s’écartant de l’ancien drame anglais, s’approchant de la nouvelle tragédie française, essayant un compromis entre l’éloquence classique et la vérité romantique, s’accommodant tant bien que mal au nouveau public qui le payait et l’acclamait.

« La langue, la conversation et l’esprit[1], dit-il, se sont perfectionnés depuis le siècle dernier,» ce qui a fait découvrir dans les anciens poètes beaucoup de fautes, et a introduit un genre de drame nouveau. « Qu’un homme sachant l’anglais lise attentivement les œuvres de Shakspeare et de Fletcher, j’ose affirmer qu’il trouvera à chaque page, soit quelque solécisme de langue, soit quelque manque de sens notable. La plupart de leurs fables sont composées avec une histoire ridicule et incohérente. Beaucoup de pièces de Shakspeare sont fondées sur des impossibilités, ou du moins si bassement écrites, que la partie comique n’excite point notre rire, ni la partie sérieuse notre intérêt. Je montrerais aisément que notre Fletcher si admiré n’entendait ni l’art de bien nouer une intrigue, ni ce qu’on appelle les bienséances du théâtre. Par exemple son Philaster blesse sa maîtresse sur le théâtre ; son berger commet deux fois la même brutalité. » Nulle part il ne garde aux rois la dignité royale. D’ailleurs l’action est chez eux toute barbare. Ils mettent des batailles sur le théâtre : ils transportent en un instant la scène à vingt ans ou à cinq cents lieues de distance, et vingt fois de suite en un acte ; ils entassent ensemble trois ou quatre actions différentes, surtout dans les drames historiques. Mais c’est par le style qu’ils pèchent le plus. « Dans Shakspeare, beaucoup de mots et encore plus de phrases sont à peine intelligibles, et de celles que nous entendons, quelques-unes sont contre la grammaire, d’autres grossières, et tout son style est tellement empoisonné d’expressions figurées qu’il est aussi affecté qu’obscur. » Ben Jonson lui-même a souvent de mauvaises constructions, des redondances, des barbarismes. « L’art de bien placer les mots pour la douceur de la prononciation a été inconnu jusqu’au moment où M. Waller l’introduisit. » Enfin tous descendent jusqu’aux calembours, aux expressions

  1. Defense of the Epilogue to the Conquest of Grenada. — Grounds of Criticism in Tragedy.