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groupe qu’un seul cavalier, la fantasia, c’est-à-dire le galop d’un cheval bien monté, est encore un spectacle unique, comme tout exercice équestre fait pour montrer dans leur moment d’activité commune et dans leur accord les deux créatures les plus intelligentes et les plus achevées par la forme que Dieu ait faites. Séparez-les, on dirait que chacune d’elles est incomplète, car ni l’une, ni l’autre n’a plus son maximum de puissance ; accouplez-les, mêlez l’homme au cheval, donnez au torse l’initiative et la volonté, donnez au reste du corps les attributs combinés de la promptitude et de la vigueur, et vous avez un être souverainement fort, pensant et agissant, courageux et rapide, libre et soumis. La Grèce artiste n’a rien imaginé ni de plus naturel, ni de plus grand. Elle a montré par là que la statue équestre était le dernier mot de la statuaire humaine, et de ce monstre aux proportions réelles, qui n’est que l’alliance audacieusement figurée d’un robuste cheval et d’un bel homme, elle a fait l’éducateur de ses héros, l’inventeur de ses sciences, le précepteur du plus agile, du plus brave et du plus beau des hommes.

De temps en temps, et comme des acteurs de premier ordre sûrs d’eux-mêmes et toujours certains d’être applaudis, des cavaliers couraient isolément ou deux par deux, et alors dans un tel ensemble que les deux chevaux avaient l’air d’être conduits par une seule main ou attelés à un même timon qu’on ne voyait pas. Ceux-là valaient qu’on les nommât : c’était Kaddour, qui recommençait ses courses avec sa jument taillée comme un lévrier ; Djelloul, sur un cheval bai sombre caparaçonné de soie cramoisie ; Ben-Saïd-Khrelili, tout habillé de rose et montant un cheval tout noir comme un corbeau ; Mohammed-ben-Daoud, le manchot, vieux débris des anciennes guerres, à qui l’on passait des fusils chargés, et qui, ne pouvant plus les mettre à l’épaule, les tirait à bras tendu, comme des pistolets. Le vieux Bou-Noua, beau-père du kaïd, courut accompagné seulement de ses trois fils, charmans jeunes gens vêtus à la légère, et qui lui servaient de pages. Il montait un cheval de haute taille, lourdement équipé, aux larges sabots, à vaste encolure, qui galopait avec emphase, comme les chevaux de Bubens, les jarrets plies, d’une allure arrondie, redondante et retentissante. Lui-même était énorme, grand, gros, ventru, la barbe en éventail, le visage blond, les yeux clairs et ronds comme ceux des aigles. Il portait avec une ampleur singulière un haïk flottant, que le mouvement de la course amplifiait encore en le faisant voler, et deux ou trois vestes chargées d’or, plus un baudrier d’or, formaient autour de sa taille une sorte de plastron solide où le soleil rayonnait comme sur une cuirasse. Il galopait, non pas debout, car le poids de son