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ont droit de prendre part à ces jeux. Le peuple le plus aristocrate de la terre se montre en pareil cas plein de bonhomie. Chacun s’amuse pour son compte : le valet court à côté de son maître, s’il est assez bien monté pour suivre son allure. En vertu de ce principe applicable aux jeux militaires, que devant l’ennemi il n’y a ni distinctions de caste, ni supériorité de naissance, un cavalier vaut un cavalier, et le galop d’un cheval doit égaliser tous les rangs.

Ce prélude au reste fut très court, et ne dura pas plus de quelques minutes ; il mit les spectateurs en haleine, et fit sentir aux chevaux l’odeur de la poudre. Le kaïd avait pris place au pied du drapeau, ayant près de lui ses deux fils, deux jolis enfans, l’un de six ans, l’autre de dix. L’aîné, costumé, coiffé, botté, comme un jeune soldat, avec de longs bas de cuir jaune, et trônant dans une attitude princière, comme si le spectacle eût été donné en son honneur, se renversait, pour être plus à l’aise, sur de vieux serviteurs à barbe grise, qui s’étaient couchés à plat ventre, de manière à lui servir de coussins. Des cris éclataient au fond de l’hippodrome, où la cavalerie, prête à partir, s’organisait par petits pelotons.

Le premier départ fut magnifique ; douze ou quinze cavaliers s’élançaient en ligne. C’étaient des hommes et des chevaux d’élite. Les chevaux avaient leurs harnais de parade ; les hommes étaient en tenue de fête, c’est-à-dire en tenue de combat : culottes flottantes, haïk roulés en écharpe, ceinturons garnis de cartouches et bouclés très haut sur des gilets sans manche de couleur éclatante. Partis ensemble, ils arrivaient de front, chose assez rare pour des Arabes, serrés botte à botte, étriers contre étriers, droits sur la selle, les bras tendus, la bride au vent, poussant de grands cris, faisant de grands gestes, mais dans un aplomb si parfait, que la plupart portaient leurs fusils posés en équilibre sur leur coiffure en forme de turban, et de leurs deux mains libres manœuvraient soit des pistolets, soit des sabres. À dix pas de nous, et par un mouvement qui ne peut se décrire, tous les fusils voltigèrent au-dessus des têtes ; une seconde après, chaque homme était immobile et nous tenait en joue. Le soleil étincela sur des armes, sur des baudriers, sur des orfèvreries ; on vit dans un miroitement rapide briller des étoffes, des selles brodées, des étriers et des brides d’or ; ils passèrent comme la foudre, en faisant une décharge générale qui nous couvrit de poudre et les enveloppa de fumée blanche. Les femmes applaudirent. Un second peloton les suivait de si près, que les fumées des armes se confondirent, et que la seconde décharge répéta la première, comme un écho presque instantané. Un troisième accourait sur leurs traces, dans un nouveau tourbillon de poussière, et tous les fusils abattus vers la terre. Il était conduit par le nègre Kaddour,