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doutables à pareille époque et en pareil lieu, l’humidité qui tombait comme la pluie, et les moustiques.

La lune a décliné vers les montagnes de l’ouest, et j’ai soulevé la porte de, ma tente au moment même où l’aube rougeâtre commençait à naître au-dessus de Blidah. Le ciel, orangé d’abord, pâlissait et blanchissait rapidement à mesure que le soleil approchait de ce haut horizon. Rappelle -toi deux belles gravures d’après Edwin Landseer, deux gravures qui semblent colorées, tant les valeurs de gris et de noir sont justes et singulièrement bien observées : l’une a pour titre the Sanctuary, l’autre the Challenge. Je ne saurais te donner une idée ni plus exacte, ni plus belle, du lac et de la silhouette acérée des montagnes, vues à cette heure de demi-ténèbres, à travers le premier crépuscule qui suit la nuit ; puis tout à coup la diane a sonné pour annoncer le point du jour, et quelques minutes après, le soleil tout rose jaillissait dans une atmosphère éclatante comme de l’argent.

Je t’ai dit que nos compagnons comptaient faire de la chasse au lac un massacre ; cette chasse a été nulle ou à peu près. Un obstacle que personne n’avait prévu a rendu la battue impossible ; il fallait des bateaux pour arriver jusqu’au large, et les bateaux n’existaient plus. Les deux ou trois petits sabots à fond plat que l’eau n’a pas coulés ou la vase engloutis avaient été pris par des guetteurs d’ibis arrivés cette nuit. Les canards, les sarcelles, les ibis, les cygnes et les hérons, tous les oiseaux qui nagent, ou que leur instinct tient éloignés du bord, nous échappaient. Il restait un pisaller : c’était de fouiller les roseaux. De toutes les façons de chasser, il n’en est pas de plus originale et de moins certaine. À midi seulement, car il fallut prendre des précautions d’hygiène comme pour un bain, nous nous mîmes en chasse ; autrement dit, nous nous mîmes à l’eau.

Le lac est entouré de roseaux élevés de huit ou dix pieds, si serrés qu’on les croirait plantés exprès pour rendre les abords inaccessibles, disposés par lignes épaisses et rangés symétriquement comme des palissades. Je ne connais pas de halliers plus difficiles à percer, ni plus incommodes à côtoyer. Ils portent tous une échelle d’étiage parfaitement graduée par des lignes de boue, depuis le plus haut jusqu’au plus bas niveau du marais, limite extrême que le lac atteint en ce moment. Aussitôt engagé dans cette broussaille à feuilles aiguës et tranchantes, à cannes serrées, à fûts réguliers comme des tuyaux d’orgue, on ne voit plus que le petit espace de ciel presque imperceptible qui reste à découvert au-dessus de la tète et l’eau noirâtre où l’on est plongé jusqu’à mi-corps. Il est également impossible de se diriger, de se reconnaître, de faire appel à