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visibles dans tous les tableaux signés de lui, mais de plus heureux pour sa renommée et de plus honorable pour l’art moderne.

«Le peintre de genre a procédé plus résolument. Dans l’Orient, il a vu l’effet : l’opposition nette, aiguë, tranchante des ombres, et de la lumière. Ne pouvant pas atteindre directement le soleil, qui brûle toutes les mains qui le cherchent, il a pris un détour fort spirituel, et, dans l’impossibilité d’exprimer beaucoup de soleil avec peu d’ombres, il a pensé qu’avec beaucoup d’ombres il parviendrait à produire un peu de soleil, et il a réussi. Cette abstraction de l’edet, ce thème invariable des oppositions vives, il les a poursuivis partout, dans tous les sujets de figure ou de paysage, violemment, obstinément, et avec un succès qui a légitimé ses audaces. Il a beaucoup imaginé, beaucoup rêvé, mais à distance, à travers des partis-pris d’esprit, de méthode et de pratique. Il n’est ni vrai, ni vraisemblable. Peu nature, permettez-moi ce barbarisme d’atelier, sa supériorité la plus incontestable lui vient de ce qu’il a, comme tous les visionnaires, l’esprit rempli de métamorphoses. Il invente encore plus qu’il ne se souvient. Il a gardé de ses séjours en Orient je ne sais quel amour des angles droits, des horizons rectilignes, des intersections brusques, dont il a composé pour ainsi dire la formule et la géométrie de son art. Chaque chose qu’il produit se reconnaît à ce double caractère : l’intensité de l’effet, la combinaison méthodique des formes, et peut-être, à son insu, le sujet n’est-il qu’un prétexte varié pour appliquer identiquement ses formules. Au fond, si quelque chose manque à cet art très indépendant, c’est de l’être trop dans un sens et de ne pas l’être assez dans l’autre, en un mot d’avoir fait d’énormes sacrifices à la lumière comme à l’indispensable raison du beau.

« Le troisième est monté d’un échelon sur l’escalier presque sans fin du grand art, et dans l’Orient il a vu les spectacles humains. Notez bien que je ne dis pas l’homme. Il a vu l’homme habillé, par conséquent la tournure, le geste, vaguement la physionomie, mais splendidement le costume et la couleur. De la couleur, il a fait à son tour son abstraction. Il a tellement agrandi son rôle, il l’a douée d’une telle importance, il en a tiré des significations si diverses, si hautes, si frappantes, et parfois si pathétiques, qu’en nous forçant pour ainsi dire à oublier la forme, il a fait supposer qu’il la méprisait ou l’ignorait, deux erreurs dont il est innocent. En vertu de ce principe que la couleur décomposée par des ombres rigoureuses et des lumières perd son effet de plénitude et sa qualité intense, il a imaginé, même pour ses tableaux de plein air, une sorte de jour élyséen doux, tempéré, égal, que j’appellerai le clair-obscur des campagnes ouvertes. Il a pris à l’Orient les bleus forts de son ciel,