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sans vapeur, sans atténuation, presque sans atmosphère appréciable et sans distance. Tel est l’Orient que, vous et moi, nous connaissons, qui nous entoure et que nous voyons. C’est le pays par excellence du grand dans les lignes fuyantes, du clair et de l’immobile, — des terrains enflammés sous un ciel bleu, c’est-à-dire plus clairs que le ciel, ce qui amène, notez-le bien, à tout moment des tableaux renversés ; — pas de centre, car la lumière afflue partout ; pas d’ombres mobiles, car le ciel est sans nuages. Enfin, jamais que je sache avant nous, personne ne s’est préoccupé de lutter contre ce capital obstacle du soleil, et ne s’est imaginé qu’un des buts de la peinture pouvait être d’exprimer, avec les pauvres moyens que vous savez, l’excès de la lumière solaire, accrue par la diffusion. Je vous signale ici des difficultés de pratique ; il y en a mille autres, plus profondes, plus sérieuses, et beaucoup plus dignes d’être méditées.

« Trois hommes, depuis vingt ans, résument à peu près tout ce que la critique moderne a nommé la peinture orientale. Vous connaissez au moins l’un des trois ; son nom a fait trop de bruit en France pour qu’il n’en soit pas arrivé quelque lointain retentissement jusque dans vos déserts. Je ne me permettrai point de les juger, même en tête-à-tête, à quatre cents lieues de Paris. Je vous dirai seulement, pour employer le vocabulaire à la mode, que l’un a fait avec l’Orient du paysage, l’autre du paysage et du genre, le troisième du genre et de la grande peinture. Chacun d’eux a vu l’Orient, et l’a bien vu, sinon avec une intelligence égale, du moins avec un amour aussi vif, aussi sincère, aussi durable, et l’ensemble de leurs œuvres a été une révélation.

« Le paysagiste a commencé par visiter les lieux les plus célèbres de la terre, et les a décrits, les signant d’un nom de ville, de village ou de mosquée : les traitant à peu près comme des portraits, il fallait bien qu’il nommât l’original. Son œuvre est l’exquise et parfaite illustration d’un voyage dont il aurait pu lui-même écrire le texte, car il apportait en écrivant comme en peignant la même exactitude de coup d’œil, la même vivacité de style et d’expression. Or, de tout cet œuvre considérable, et dont le souvenir aujourd’hui déjà devient confus, ce qui restera peut-être de plus lumineux, de plus choisi, de plus mémorable, ce sont de petits tableaux sans nom, sans désignation précise, par exemple un crépuscule au bord du Nil, ou bien des pèlerins pauvres voyageant à midi dans l’aride atmosphère d’un pays sans eau. Deux notes générales, une impression de mélancolie nocturne, la terreur des chaudes solitudes, voilà peut-être ce qu’il aura laissé, je ne dis pas de plus parfait, car la nette intelligence de l’homme et la main habile du praticien sont