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Rome, il reste au fond le Normand des Andelys, voisin de Corneille et parent de La Fontaine. Il a beau faire : il est grave, mais spirituel. Il est soucieux, mais il raisonne ; il a le trait, le pathétique et la leçon ; il est peu naïf en somme dans l’acception simple, forte, ingénument plastique, que les anciens donnaient à ce mot. Le très grand art ne raisonne pas, du moins dans le sens du syllogisme ; il conçoit, il rêve, il voit, il sent, il exprime : mécanisme simple et plus naïf. Qu’est-ce que le sujet, sinon l’anecdote introduite dans l’art, le fait au lieu de l’idée plastique, le récit quand il y a récit, la scène, l’exactitude du costume, la vraisemblance de l’effet, en un mot la vérité, soit historique, soit pittoresque ? Tout se déduit et tout s’enchaîne. La logique apportée dans le sujet conduit tout droit à la couleur locale, c’est-à-dire à une impasse, car, arrivé là, l’art n’a plus qu’à s’arrêter ; il est fini.

« L’histoire religieuse, l’Ancien et le Nouveau Testament, par l’élévation de l’idée, qui touchait à la foi, par le contact avec le fond des croyances, par leur éloignement légendaire, par le mystérieux des faits, s’élevaient au-dessus de l’anecdote et rentraient dans l’épopée ; mais à quelle condition ? À la condition d’être le credo d’une âme émue, comme chez le moine de Fiesole, ou d’être coulés dans le moule d’une forme sublime, comme dans Léonard, Raphaël, André del Sarlo, ces païens. Le sujet n’a jamais été pour eux qu’une occasion de représenter l’apothéose de l’homme dans tous ses attributs. Du moment que la mise en scène se fait plus explicative, de deux choses l’une : ou le sujet se transfigure comme entre les mains des coloristes-dessinateurs vénitiens, et, par l’absence de toute couleur vraie, par le mépris de l’histoire et de la chronologie, il sert de prétexte à une fantaisie épique, au fond de laquelle il passe inaperçu ; ou bien l’intention de rester vrai prend le dessus, et subitement l’art est rapetissé. À la façon dont les metteurs en scène vénitiens ont compris le sujet, il est aisé de voir le cas médiocre qu’ils en faisaient. Quand Titien peint l’ensevelissement du Christ, qu’y voit-il ? Un contraste, — idée plastique, — un corps blanc, livide et mort, porté par des hommes sanguins, et pleuré, dans un deuil qui les rend plus belles, par de grandes Lombardes aux cheveux roux : voilà comment on entendait le sujet. Vous voyez que la curiosité d’être vrai n’était pas grande, et que le désir d’être nouveau n’allait pas plus loin que celui d’être exact. Être beau, tel était le premier et le dernier mot, l’alpha et l’oméga d’un catéchisme que nous ne connaissons plus guère aujourd’hui.

« Tout à coup, il y a quelque vingt ans, après avoir épuisé l’histoire ancienne, et puis l’histoire locale, de lassitude ou autrement, les peintres se sont mis en route. De cette époque date un