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l’état du ciel, quel vent, quelle température, puis mêlant à tout cela Içs renseignemens venus de la Kasbah. De toutes ces notes, prises jour par jour, heure par heure, il composait un journal fort original, une sorte d’histoire panoramique qui devient vivante à force de précision, et pittoresque à cause du point de vue.

À la date du 14 juin 1825, voici ce que l’observateur écrit : « Ce soir, comme pour faire contraste avec l’aspect sombre de la guerre et l’inquiétude qui existe naturellement dans un pays comme celui-ci, nous avons joui des plus beaux phénomènes de la nature. Au coucher du soleil, un cactus grandiflora a commencé à fleurir dans le jardin du consulat ; développant insensiblement sa gloire éphémère aux rayons d’un beau clair de lune, il embaume l’air à la distance de plusieurs toises de ses doux parfums, et répand une forte odeur de vanille.

« 15 juin. Pendant la plus grande partie du jour, l’horizon a été couvert d’un épais brouillard. À environ cinq heures du soir, le brouillard a disparu en partie, et on a découvert en pleine mer seize vaisseaux anglais. La belle fleur qui s’était épanouie la nuit dernière était fermée le matin ; le soir, elle était desséchée sur sa tige. »

Et le lendemain le diplomate continue le récit du blocus. Ce mince détail observé par hasard illumine à mon avis tout le cours du volume. Ce brouillard des journées chaudes, cette plante rare qui fleurit pendant une nuit d’été et ne reste ouverte que quelques heures, il y a là, mon ami, tout un paysage. Est-il inutile ? Je ne le crois pas, car il rend le tableau plus local, il rappelle l’Alger physique qu’on oubliait ; il encadre l’histoire, sans que l’histoire y perde rien de sa gravité. Si jamais il m’arrivait d’être l’historiographe d’un événement politique ou militaire, sois bien assuré qu’à mon insu je trouverais moyen de faire épanouir à un moment donné, soit parmi les aridités de la politique, soit au milieu des péripéties d’un champ de bataille, quelque chose comme le cactus grandi flora de l’Américain Shaler.


Septembre.

Nous recommençons la vie que tu connais, aux mêmes lieux, dans la même maison, sans nous écarter des sillons marqués par de longues habitudes. Nous travaillons. Vandell est retourné à la géologie. Il ne sort plus sans son marteau, et partout où nous allons ensemble, il se met, comme un cantonnier sur les routes, à casser des cailloux. Je l’aide à porter ses échantillons. Il en a couvert le plancher de sa chambre. C’est là qu’il les dépose et qu’il les classe, sans avoir l’air de prévoir que tôt ou tard il nous faudra