Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/492

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dez pas avant le milieu de juillet. Si vous voyagiez vous-même, laissez votre clé chez Bou-Dhiaf.

Bou-Dhiaf est le maître de l’hôtellerie arabe de la rue des Koulouglis et le logeur ordinaire de Vandell, quand celui-ci vient à Blidah. Son nom vaut une bonne enseigne, car il signifie père de l’hôte.

Une demi-heure après, Vandell revenait avec sa jument blanche. Il attacha sur le dos de la bête son modeste et léger bagage, se mit en selle, et me quitta. Lui parti, je me suis demandé ce que j’allais devenir. Je trouvai ma maison vide, et je compris, à cette nouvelle appréhension d’être seul après avoir été deux, que je venais de prendre aussi, moi, ce que Yandell appelle stoïquement de mauvaises habitudes.


Même date, la nuit.

M’ai fait ce soir le tour de la ville (voilà que je recommence à dire je). J’ai suivi le contour du rempart à l’extérieur, d’abord en plaine, ensuite au pied même de la montagne. Il était six heures quand je sortis, et neuf à peu près quand je revins à mon point de départ, ce qui te prouve que je marchais lentement et m’arrêtais souvent. La soirée était chaude, l’air très calme. Un brouillard de bon augure descendit de bonne heure sur la plaine, et le lac et les marais se dessinèrent bientôt par des lignes de vapeurs blanches. Les hirondelles, qui sont en nombre incalculable à Blidah, disparurent peu à peu du ciel, où le jour pâlissait ; l’air était plein du vol des insectes de nuit et des moustiques.

En arrivant à la porte de l’ouest, je trouvai tout un bivouac établi autour des abreuvoirs : — une cinquantaine de ch9,meaux, une trentaine à peu près de chameliers. Quoiqu’il fît déjà sombre, je vis à leur air et à leur tenue, à leur teint plus obscur, à leurs yeux plus âpres, qu’ils étaient des Sahariens.

— D’où venez-vous ? leur dis-je.

— Un d’entre eux me dit : — D’El-Aghouat.

El-Aghouat, dans une bouche arabe, est un mot très dur et plein de caractère, à cause de la gutturale gh, qui équivaut au j espagnol. J’écoutai ce nom bizarre, et me le fis répéter, pour me donner le plaisir de l’entendre. C’était la première fois qu’un Arabe le prononçait devant moi avec cet accent tendre et fier propre à l’homme qui parle de son pays à des étrangers. Je demandai combien de jours de voyage. Il me dit : — Dix jours jusqu’à Boghar, et deux jours de Boghar à Medeah.

— Et comment est le chemin ?

Il fit alors le geste superlatif des Arabes, me montra la route unie qui passait près du bivouac, allongea le bras indéfiniment pour ex-