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servirent, pendant une partie de la matinée, de piédestal à une assemblée de statues, les plus belles peut-être et les plus jeunes de la fête.

C’étaient de grandes filles au nez droit, aux yeux luisans, aux joues fermes et polies comme du basalte, coiffées à l’égyptienne, et de formes si vigoureuses que, malgré l’ampleur des voiles et des fouta, les muscles vivaient sous leurs habits aussi nettement que sous des draperies mouillées. Elles composaient une seule ligne, faisaient face à l’horizon vide, et se découpaient sur l’émail bleu de la mer avec la dureté d’une peinture chinoise. Quatre ou cinq d’entre elles étaient vêtues de rouge ; au centre, il y en avait une habillée de vert, mince, allongée, flexible comme un jonc de rivière, et très jolie avec son turban noir et des argenteries sur son corset pourpre. Elles se tenaient par la taille ou les mains enlacées, rattachées ainsi l’une à l’autre par de beaux bras aux poignets fins, la tête droite, la poitrine saillante, les reins un peu faussés par l’habitude de vivre accroupies, les pieds se touchant comme ceux des Isis. D’autres, étendues à plat ventre sur l’herbe même, avaient la gorge appuyée sur le sol, dans une langueur un peu bestiale qui leur donnait l’air de ramper. D’autres, à l’écart, causaient entre elles ou s’occupaient de leur toilette, et se posaient des grappes d’acacias autour des joues, en vertu de ce goût paradoxal qui leur fait aimer précisément ce qui peut les noircir davantage.

Un murmure indéfinissable et comme un gazouillement sans paroles, qui remplissait l’air d’un bruit léger, ajoutait encore à l’effet très singulier produit par cette armée de femmes à la peau sombre. On eût dit une peuplade d’amazones éthiopiennes ou le harem de quelque sultan fabuleux surpris en une matinée de réjouissance. C’était fort beau, et dans cette alliance inattendue du costume et de la statuaire, de la forme pure et de la fantaisie barbare, il y avait un exemple de goût détestable à suivre, mais éblouissant. Au reste, ne parlons pas de goût dans un pareil sujet. Pour aujourd’hui, laissons les règles. Il s’agit d’un tableau sans discipline, et qui n’a presque rien de commun avec l’art. Gardons-nous bien de le discuter ; voyons. Ainsi j’ai dû faire, et je me suis promené, regardant, notant les détails, ne vivant plus que par les yeux, plongé sans arrière-pensée ni scrupule dans ce tourbillon de couleurs en mouvement.

Le tableau se composait en amphithéâtre, je te l’ai dit, et dans un cadre aussi beau qu’il était vaste, sur un terrain tapissé d’herbes et de hautes herbes ; pas un arbre, mais d’épais massifs d’aloès et de cactus ; autour, la plaine bocagère du Hamma ; pourfend, d’un côté le Sahel ombreux et vert, de l’autre la mer, avec Alger qui