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Pour le vin, Lavoisier estime la consommation totale à 5 millions 700,000 muids ou 17 millions d’hectolitres, mais il a soin de dire que, ses informations étant très vagues sur ce point, il peut se tromper d’un quart, d’un tiers, ou même de moitié. Il est probable qu’en effet il se trompait d’un tiers. Chaptal à son tour se trompe probablement en trop ; il porte cette production en 1815 à 35 millions et demi d’hectolitres; elle doit être aujourd’hui de 40. En revanche, Lavoisier estime la consommation totale de la viande à 1,200 millions de livres ou 600 millions de kilos, ce qui doit être très exagéré, car Chaptal ne la porte, vingt-cinq ans après, qu’à 500 millions de kilos. Je crois bien que la production de la viande n’a pas beaucoup augmenté de 1789 à 1815, mais je ne crois pas qu’elle ait diminué; elle est aujourd’hui d’un milliard de kilos au moins.

En répartissant également par tête d’habitant le blé et la viande obtenus à ces trois époques, la ration annuelle devient : pour 1789 (26 millions et demi d’habitans), 1 hectolitre et quart de froment, 1 hectolitre trois quarts de seigle et autres grains, 18 kilos de viande; pour 1815 (29 millions et demi d’habitans), 1 hectolitre et demi de froment, 1 hectolitre et demi de seigle et autres grains[1], 18 kilos de viande; pour 1848 (36 millions d’habitans), 2 hectolitres de froment, 1 hectolitre de seigle et autres grains, 28 kilos de viande; plus les pommes de terre, le vin, les légumes secs et frais, le lait, etc.

Lavoisier estime à 600 millions en tout pour 1789, ou 12 fr. en moyenne par hectare, le revenu net des propriétaires français. On ne peut qu’accepter cette évaluation, qui est en même temps celle de Forbonnais. La rente donne le prix vénal des terres : à 3 pour 100, c’est 400 francs l’hectare. À ce compte, la rente moyenne et avec elle le prix vénal auraient marché plus vite que le produit brut, car on peut estimer aujourd’hui la rente moyenne à 30 francs, et le prix vénal à 1,000 francs l’hectare : juste récompense du surcroît d’attention que les propriétaires ont donné à leurs domaines et des nouveaux capitaux qu’ils y ont enfouis.

C’est une question assez délicate que celle de l’impôt que payait la propriété rurale avant 1789. Lavoisier l’estime à 600 millions, c’est-à-dire à l’équivalent de la rente. « Le revenu net, dit-il, montant à 1,200 millions, déduction faite des frais de culture, est partagé à peu près par égales portions entre le trésor public et les propriétaires. » Mais Lavoisier, imbu d’une opinion économique fort répandue de son temps, fait peser sur la propriété rurale la totalité du revenu public, qui était en effet de 600 millions, tandis qu’elle

  1. Chaptal compte un peu plus, mais il oublie de déduire les semences.