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à satiété les anciens griefs, ces 50 millions n’auraient servi qu’à entretenir une partie de la nation dans le célibat et l’oisiveté: mais cette objection ne pouvait plus en être une que pour des esprits passionnés. 50,000 religieux et religieuses pour une nation de 26 millions d’âmes, ou deux têtes environ sur 1,000, il ne pouvait en résulter aucun effet sensible, ni sur la population, ni sur le travail. Ces religieux remplissaient, pour la plupart, une fonction utile, en se livrant à l’étude, à l’enseignement, à l’aumône, à la garde des malades, et quand même ils n’auraient été bons à rien, personne n’avait le droit de violenter leur conscience. Tout ne se mesure pas en ce monde par l’utilité matérielle; la méditation, l’abstinence, la pénitence, la prière, le repos même, ont aussi leurs droits. Pour que la liberté personnelle fût entière, il suffisait que la législation ne reconnût pas les vœux perpétuels, et que le pouvoir temporel veillât avec soin à ce qu’aucune vocation ne fut contrainte; le reste ne le regardait pas. On ne pouvait, sans violer la liberté même, chasser des cloîtres par la force ceux qui voulaient y rester.

Au lieu de s’en tenir à ce qui était légitime, accepté, véritablement utile, l’assemblée a dépassé le but en ordonnant la vente de tous ces biens sans distinction. Outre que le droit du pouvoir temporel ne pouvait en aucun cas aller jusque-là, c’était excéder les limites du possible aussi bien que du juste. L’histoire de cette œuvre de violence, la première qu’ait accomplie la révolution et la source secrète de toutes les autres, est bonne à étudier. L’idée première commence à paraître après les journées des 5 et 6 octobre. Quoique déjà atteinte dans sa liberté par sa translation forcée à Paris, l’assemblée résiste d’abord; elle refuse de déclarer en principe que les biens du clergé sont une propriété nationale, et n’adopte que le 2 novembre, à la majorité de 568 voix contre 386, la proposition-insidieuse de Mirabeau, portant que ces biens sont à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d’une manière convenable aux frais du culte, à l’entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. Le 18 décembre, on décide que 400 millions de ces biens seront vendus. Le 13 février 1790, le torrent grossissant toujours, les ordres monastiques sont abolis. Le 14 avril, un nouveau décret est rendu, sous la menace incessante des clubs, des journaux et des émeutes, portant que l’administration des biens d’église sera désormais confiée aux assemblera de département, sous la réserve de pensions équivalentes (70 millions), servies par le trésor public aux religieux dépossédés. Enfin, au mois de juin, l’assemblée, décidément subjuguée, décrète la constitution civile du clergé, et autorise l’aliénation générale de ce que la loi appelle pour la première fois les domaines nationaux.