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tres redevances. C’était la véritable opinion de l’assemblée, qui l’avait ainsi décidé d’abord, et qui revint plus tard sur sa décision. C’était en particulier l’avis de Sieyès, qui écrivit à ce sujet une brochure remarquable, où il n’avait pas de peine à prouver qu’en se rachetant au denier 20, les décimés avaient encore un grand bénéfice. Les dîmes ecclésiastiques, c’est le roi qui le dit dans sa lettre à l’assemblée, rapportaient de 60 à 80 millions nets; mais les contribuables payaient une quarantaine de millions de plus, qui se perdaient en frais de perception[1]. En se rachetant pour un capital de 12 ou 1,500 millions, ils auraient gagné au moins autant, sans imposer aucune perte de revenu aux titulaires. A l’inégalité de perception se joignait une non moins grande inégalité de distribution : l’archevêque de Strasbourg avait 400,000 livres de rentes, tandis que la plupart des curés de campagne n’avaient que leur portion congrue, qui était de 500 livres; mais tout le monde était d’accord pour corriger cette disproportion criante, sans qu’il fût nécessaire d’aller jusqu’à l’abolition. C’est précisément à ce propos que Sieyès, mécontent, dit son fameux mot : « Ils veulent être libres, et ils ne savent pas être justes !»

Cette suppression des dîmes a eu en réalité bien moins d’importance qu’il ne semble. La charge a été déplacée, non détruite, car les frais du culte coûtent aujourd’hui à la masse des contribuables bien près de 50 millions, et on n’a pas encore tenu à tous les curés de campagne la promesse solennelle, qu’on leur a faite en 1789, de porter le minimum de leur traitement à 1,200 francs. C’est une vingtaine de millions de moins pour le clergé, soit; mais croit-on que cette somme, les contribuables l’aient gagnée? Je ne serais pas bien embarrassé si j’avais à désigner dans notre budget actuel, non pas vingt millions, mais cent, moins utilement dépensés dans l’intérêt des campagnes que les produits des anciennes dîmes.

L’abolition radicale des droits féodaux peut donner lieu à des observations analogues. Le moment était évidemment venu où toute espèce de droits féodaux devaient disparaître à jamais; mais fallait-il les abolir sans indemnité? Voilà qui n’est pas également démontré. L’assemblée nationale a fait une distinction parfaitement rationnelle entre les droits qui dérivaient de l’autorité féodale et ceux qui re- présentaient une concession de propriété; mais en fait cette distinction n’était pas toujours applicable, et elle n’a pas été toujours appliquée. Le principe de l’abolition sans indemnité s’est étendu de

  1. Le comité des impositions de l’assemblée constituante a évalué le produit total des dîmes, à 133 millions, mais il y comprenait, avec les dîmes ecclésiastiques. celles qui appartenaient à des laïques, et qu’on appelait inféodées. Ces dernières dépassaient 10 millions; elles avaient été exceptées de la suppression et déclarées rachetables.