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Sont-ce toujours les mêmes, ou bien l’animal meurt-il parce qu’il a perdu dans un cas la faculté de se mouvoir, dans l’autre celle de sentir? C’est ce qu’il importait de voir, et c’est ce qu’a vu M. Bernard avec tout le bonheur des gens habiles.

Un bœuf empoisonné par le curare meurt en vingt-cinq secondes à peu près, sans qu’aucune lésion explique cette mort rapide. La respiration pourtant est interrompue, mais le cœur continue de battre. Le poison agit donc peu ou point sur le système sympathique. D’un autre côté, si l’on envoie de temps en temps, par un soufflet convenablement placé, de l’air dans le poumon, en comprimant dans les intervalles la poitrine avec les mains, si, en un mot, on entretient une respiration artificielle, l’échange d’oxygène et d’acide carbonique recommence ; le poison est bientôt détruit en vertu de cette espèce de combustion qui entretient la vie; l’animal renaît, et toute trace d’empoisonnement disparaît. C’est là une preuve excellente de l’absence de toute lésion, de toute action physique ou chimique ordinaire, car si l’une de ces altérations existait, la vie ne reviendrait point. Les animaux à sang froid ressemblent fort aux animaux supérieurs, mais chez eux les phénomènes vitaux sont plus lents soit à se manifester, soit à disparaître. Or, si c’est sur l’un des premiers que l’on opère, sur une grenouille par exemple, le curare injecté sous la peau n’amène pas une mort immédiate. Il arrête la respiration non parce que le sang est coagulé ou ne peut plus arriver au poumon, ni parce que l’animal ne sent plus le besoin de respirer, mais simplement parce que les nerfs du mouvement sont paralysés et que, ces nerfs n’agissant plus sur les muscles de la poitrine, les côtes ne se soulèvent plus; il n’y a ni expiration ni inspiration. M. Bernard a donc vu que cette paralysie affecte les seuls nerfs du mouvement, tandis que la sensibilité persiste. Ainsi, lorsque la dose de poison n’est pas suffisante pour tuer l’animal, celui-ci cesse de se mouvoir, et l’on peut pincer, irriter ses membres sans qu’il les retire. A-t-il perdu la sensibilité? Non, et la preuve, quoique difficile, en est certaine. Si, avant d’empoisonner l’animal, on empêche le sang d’arriver dans ses pattes inférieures, ces pattes ne seront point intoxiquées avec le reste du corps, car le sang seul peut y amener le curare. Elles resteront donc dans leur état normal, et ne perdront ni leur motricité ni leur sensibilité. Eh bien! toute excitation, tout pincement des autres membres ou du corps fera mouvoir ces pattes restées saines, tandis que la partie supérieure n’en paraîtra point affectée et conservera une immobilité parfaite. Donc la partie empoisonnée sur laquelle porte l’irritation a perdu le mouvement par l’effet du poison, mais elle a gardé la faculté de sentir, puisque les pattes postérieures s’agitent violemment