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mystères, à la fois antipathique et séduisante comme un sphinx humain. Cette nature a une sorte de peine à se dégager; elle est d’abord maladive, et ne surmonte qu’avec effort le premier travail d’une organisation incohérente. Marisalada a-t-elle de la beauté? On ne le sait pas; son visage est brun et pâle, et son regard offre souvent une indéfinissable expression. Moralement c’est un mélange des élémens les plus divers, sinon les plus contraires. Marisalada est à la fois ardente et froide, indifférente et fougueuse, dure jusqu’à la férocité, hautaine et capable d’une soumission d’esclave, fantasque et vulgaire, indolente et passionnée. Elle est inquiète et farouche, elle se plaît dans la solitude. Il y a parfois en elle comme des lueurs d’instincts supérieurs à sa condition, et aussitôt elle retombe dans le matérialisme le plus grossier. Au fond, c’est une de ces femmes dont la vulgarité est l’essence, qui peuvent avoir reçu un don privilégié, la beauté ou une voix magique, mais qui ne s’élèveront jamais jusqu’à la noblesse morale.

Maintenant que cette nature soit mise en présence de tous les accidens de la vie, qu’une certaine éducation superficielle l’aide à se dégager, que cette voix qu’elle a reçue en partage la conduise sur les théâtres de Séville et de Madrid, en devenant un moyen de succès, de fortune et de domination, — alors, à chaque pas dans cette carrière, elle éclatera et se laissera voir dans ses véritables instincts. Lorsque le bon Stein, le jeune et rêveur Allemand qui a soigné Marisalada, qui s’est fait son instituteur et son maître de musique, lorsque ce jeune et paisible fou se met à aimer cette créature étrange, celle-ci ne comprend guère cette sérieuse et pure affection. Elle est tout près de trouver que le chirurgien est vieux à trente ans. Tandis que, sur le bord de la mer, à la clarté du ciel, Stein cherche naïvement à initier la Gaviola à la poésie allemande, et veut savoir d’elle s’il sera toujours aimé, s’il ne sera jamais payé de perfidie, Marisalada s’ennuie profondément; pour se dispenser de répondre, elle trace négligemment sur le sable ces mots : toujours! jamais ! « et les vagues se divertissent à effacer ces paroles, comme pour parodier le pouvoir des jours, ces vagues du temps, qui vont effaçant dans le cœur ce qu’on assurait y avoir gravé pour toujours. » — « Oui, il m’aime, se dit-elle, je le savais; mais il m’aime comme fray Gabriel aime la tia Maria, comme s’aiment les vieux... Il veut se marier avec moi, comme don Modesto veut se marier avec sa chère Rosa de tous les diables. » Et elle se décide à épouser le chirurgien allemand, non par goût, mais par une sorte d’apathie à travers laquelle perce comme un secret et vague besoin d’agitation.

A mesure qu’elle semble s’élever en sortant de sa sphère, lorsqu’elle est devenue la femme de Stein, lorsqu’elle passe de Villa-