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du tio Bartolo, le vieux guerillero, du maître d’école José Mentor, du chantre de village don Gil, ou qu’il montre dans Simon Verde un paysan des bords du Guadalquivir aux prises avec tous les mauvais vents de la fortune, c’est toujours la vie des campagnes. Ces scènes, ces types, ces épisodes sont pour ainsi dire la traduction diversifiée d’un caractère moral, d’un génie populaire. Vous souvenez-vous de ces tableaux de mœurs russes esquissées par M. Ivan Tourguenef dans ses Récits d’un Chasseur? Le mérite de ces scènes, d’un relief saisissant, et plus éloquentes que l’histoire, est de laisser voir le peuple des campagnes de la Russie dans sa condition réelle, dans ses sentimens familiers, dans toute sa manière d’être, de vivre et même de mourir. Le peuple russe est là tout entier, courbé et résigné, insouciant et farouche, ingénument passionné et craintif. Ses superstitions, filles d’une imagination effarée qui aime à peupler la nature d’êtres invisibles, ont une couleur mystérieuse et bizarre. Ses chants, se prolongeant dans la steppe, ont je ne sais quel accent de mélancolie vague et indéfinissable qui révèle de longues souffrances, et qui est passé dans la musique poétiquement attendrissante de Chopin. Les transparentes fictions de Fernan Caballero, sans ressembler aux rapides et nerveuses descriptions de M. Tourguenef, dévoilent, comme celles-ci, les traits dominans, les nuances intimes et essentielles d’une nature populaire singulièrement originale.

Le peuple espagnol a au plus haut degré ce qu’on peut appeler le sentiment traditionnel. Les souvenirs de son histoire, transformés en légendes, circulent dans tous les foyers. C’est là une des sources de cette unité morale qui a si longtemps caractérisé la société espagnole. C’est ce qui fait que dans cette société il peut y avoir des différences de rang et de fortune sans qu’il y ait de différences de sentimens et d’instincts. Dans la plus humble maison comme dans la plus haute, chez le plus petit comme chez le plus grand, on retrouve les mêmes habitudes, les mêmes usages, nés d’un esprit identique, et cet instinct d’égalité morale donne un cachet étrange d’aisance et de liberté au caractère populaire. C’est un trait commun à la plupart des Espagnols, seulement il doit chez l’Andaloux un relief plus vif à la grâce d’une imagination méridionale exubérante. L’Andaloux ne doute point de lui-même, il est fier, et cette fierté se traduit parfois dans la vie pratique d’une façon bizarre. Voyez dans Elia cet ânier appelé pour porter des provisions dans une course à la campagne; il rudoie sa bête, et la bonne assistenta qu’on connaît s’apitoie sur le pauvre animal. « Bah! dit l’homme, s’il était né pour être évêque, il donnerait des bénédictions. — Moi, je ne veux pas qu’on maltraite ainsi les bêtes, dit l’assistenta avec