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jettent dans un puits, et ils effacent le sang. Dès ce moment, Ventura voit bien qu’il n’a plus à songer à son mariage; il se sauve, il cherche à gagner le premier corps de troupes espagnoles pour s’engager. On n’entend plus parler de lui, et de monotones années se succèdent à des Hermanas. Perico et Rita se sont mariés, et il leur est né deux enfans jumeaux. Le soir, à la veillée, la mère Ana récite son rosaire ou raconte des histoires aux enfans. Elvira dévore silencieusement le souvenir de son amour perdu. Le vieux Pedro croit toujours voir le grenadier sortant du puits, et regrette son fils, mort sans doute. Melampo garde philosophiquement la maison, et le vent passe à travers les feuilles frémissantes de l’oranger.

Ventura n’est pas mort pourtant; il revient au contraire après avoir fait ses années de service. Va-t-il cette fois se marier avec Elvira? Il le veut sans doute, et tout le monde le pense ainsi; mais Ventura a vu le monde et d’autres amours que des amours de village. Il se trouve tout à coup entre une jeune fille maladive, pâlie par la souffrance, et une jeune femme, Rita, hardie, provocante. C’est là le malheur. Ventura et Rita sont bientôt deux amans, ou à peu près, et ils se cachent si peu qu’ils se laissent surprendre dans une fête au milieu de toutes les ivresses de la danse. Pelico a été le dernier à soupçonner cette aventure; mais alors cette nature paisible se révolte. Un matin, Perico, armé de son escopette, va se poster dans un champ d’oliviers, et, voyant approcher Ventura, il l’étend mort. Ventura est rapporté au village, et quant à Perico, il ne lui reste plus qu’à mener l’existence du fugitif dans la montagne.

Ici commence pour ce malheureux une vie nouvelle, pleine d’angoisses et décrite parfois avec une singulière énergie. Sa misère n’est rien auprès de ses tortures morales. Une fois jeté dans cette voie, Perico sent chaque jour plus durement le poids d’un premier acte sanglant. Un soir, il rencontre du côté d’Ecija un homme à l’aspect étrange, richement vêtu à la manière des contrebandiers; cet homme a un visage dur, audacieux et tranquille, une parole âpre et brève comme tous ceux qui parlent peu : c’est Diego, un chef de bandits redouté. Perico va devenir forcément le soldat de ce capitaine, de ce roi de la montagne et de la plaine, et son introduction dans la bande ne laisse pas d’être originale. « Vous êtes en fuite, lui dit le capitaine sans faire un seul mouvement et en le regardant de haut en bas. — Perico ne répondit pas et baissa la tête. — Il n’y a point de quoi s’effrayer, poursuivit Diego ; il y a des heures fatales, et parmi ces heures il en est qui sont rouges comme du sang, d’autres noires comme le deuil. Une seule suffit pour perdre un homme et lui tourner le cœur... Un homme est perdu parce que le passé est passé. La vie est une bataille où il faut regarder en avant comme un vaillant,