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sont brûlées, il donne simplement la moitié de ses propres moissons, et en même temps il entre dans des querelles furieuses avec toutes les mendiantes qui l’exaspèrent et finissent par en avoir raison. Ainsi vit don Martin Ladron de Guevara jusqu’au jour où il est emporté au sortir de table après un souper de Noël. Bien d’autres personnages se groupent autour de don Martin, son frère l’abbé, sa femme doña Brigida Mendoza, personne « réservée, austère et impassible, » Clemencia elle-même sa belle-fille, la tia (tante) Latrana, cette fine et impudente guêpe, type bizarre des mendiantes espagnoles. C’est comme un coin de l’Andalousie que l’auteur dévoile en rassemblant ses traits les plus saillans sur une figure placée pour ainsi dire aux confins de la noblesse et du peuple.

Le peuple de l’Andalousie, — le peuple surtout, — trouve en Fernan Caballero un sympathique et inépuisable historien, et les plus charmans récits du conteur espagnol sont comme une épopée familière et variée de la vie des campagnes. Tantôt sous la forme d’une dramatique fiction, tantôt sous la forme de simples tableaux de mœurs, Fernan Caballero combine toutes les nuances de cette existence populaire où la nature morale est en merveilleuse harmonie avec la nature physique. Il a fait son domaine, je le disais, de cette partie de l’Andalousie, de la côte, de la sierra et de la plaine. C’est à Rota, la ville des pêcheurs, que la pauvre Dolorès a vécu; c’est au village de Dos Hermanas, à quelques lieues de Séville, que s’accomplit la destinée de la Famille de Alvareda. C’est un simple récit, tout populaire, tragiquement simple, cette histoire de la Famille de Alvareda, et dès le premier instant tout a un relief et une couleur. Franchissez la porte de cette maison où vous voyez un petit fanal devant une image du Christ : au milieu du patio s’élève, paisible et robuste, un oranger qui semble faire partie de la famille. Le vieux Juan Alvareda, de son vivant, le faisait dater de l’expulsion des Maures, après laquelle il aurait été planté, selon lui, par un Alvareda, soldat du saint roi Ferdinand. L’oranger sert à tout : avec les feuilles, les femmes font des préparations toniques, les jeunes filles se parent de ses fleurs, les enfans mangent ses fruits, les oiseaux chantent dans ses branches. Pendant l’été, on l’arrose sans cesse, et quand vient l’hiver, on le dépouille de son bois mort, « comme on arrache les cheveux blancs d’une tête chérie qu’on ne voudrait jamais voir vieillir. » Dans un coin du patio, n’apercevez-vous point un paisible animal, l’œil toujours à demi ouvert? C’est Melampo, un chien honorable et grave, sans prétentions à la beauté, sobre, taciturne, caressant peu ses maîtres et ne les quittant pas un instant. De sa vie, il n’a mordu créature humaine; mais il a tué six renards, trois loups, et un jour il a sauvé son maître en se précipitant sur un