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relevé par mille détails combinés avec art, et dont l’assistenta reste la physionomie dominante.

Ces types de la vieille Espagne qui vont chaque jour en s’évanouissant, Fernan Caballero les aime, et il les ressaisit avec une sûreté ingénieuse partout où il les rencontre. Quel est le personnage original et saillant dans Clemencia? Ce n’est point peut-être la jeune veuve malgré la noblesse de son âme et sa candeur passionnée; c’est don Martin Ladron de Guevara dans son domaine de Villa-Maria, vrai type du grand propriétaire de l’intérieur, du seigneur de la terre, du gentilhomme de campagne, bien différent du gentilhomme de cour en Espagne comme ailleurs. Physiquement don Martin est grand, d’une fière mine andalouse, et ses traits, quoique un peu grossis par l’âge, sont encore beaux et réguliers. Il est toujours vêtu de même, portant des bas de soie bleue, une culotte de casimir noir avec des boucles d’argent au genou, un grand gilet de soie brodé, une veste de même étoffe, une cape de riche drap noir ornée de passementeries et de franges, une résille pour retenir ses cheveux, qui ne sont jamais coupés, et sur sa tête un chapeau aux bords rabattus comme ceux des picadores dans les courses de taureaux. Don Martin n’a reçu aucune instruction si ce n’est en religion, car en sa qualité d’aîné il devait avoir le majorât, et cela suffit, ce qui ne l’empêche pas d’ailleurs d’avoir cette originalité et cette intelligence naturelle qu’ont presque tous les Andaloux. Accoutumé à être écouté, il a la parole haute et prompte, et même il ne manque pas de ce genre d’esprit propre à ceux qui ont le privilège de tout dire, bien que de sa vie il ne se soit occupé que de ses chevaux, de ses taureaux, de ses cultures et de tous les propos du village. C’est à peine s’il est allé à Séville. Sa maison, la première de Villa-Maria, est une massive construction avec de vastes dépendances, un immense patio et des salles où l’on pourrait faire courir des chevaux. Au-dessus de l’entrée est un grand balcon couronné par les armes de famille. Là ont été reçus au passage Charles IV, les princesses de Bragance, Ferdinand VII, et si l’on demande à don Martin pourquoi il n’a pas mis à sa porte le signe distinctif des maisons qui ont reçu des hôtes royaux, — une chaîne, — il répond que « vieille taverne n’a pas besoin de rameau. »

Dans ce personnage, il y a un curieux mélange des choses les plus diverses, un certain instinct chevaleresque et de la grossièreté, des violences despotiques et de la bonhomie, de l’égoïsme et de la générosité, de la grandeur et de la petitesse. En vieux chrétien qu’il est, il a la main toujours ouverte à l’aumône; dans une année de famine, il refuse de vendre ses récoltes, parce que, dit-il, elles appartiennent à ceux qui ont besoin; si les moissons des pauvres de Villa-Maria