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fectueux ou équivoque, surtout entre des mains infidèles ou vulgaires, et que l’originalité de l’écrivain était indépendante de la forme qu’il avait adoptée. Les romans de Walter Scott ont intéressé et intéressent encore par l’essence même de l’inspiration, parce qu’ils ont ce je ne sais quoi de vivant qui parle à l’imagination en réveillant toute une race. Le génie familier de la vieille Écosse semble passer dans ces sympathiques peintures. Fernan Caballero n’a point sans doute la force virile et la patiente habileté de reproduction du romancier écossais ; comme Walter Scott, il a le sentiment pénétrant de la vie traditionnelle et locale des contrées dont il s’est fait à la fois l’historien et le poète. Fernan Caballero aime l’Espagne, c’est là sa première, son unique inspiration : il aime l’Espagne dans ses paysages, dans ses mœurs, dans son passé, dans ses légendes, et même dans ses misères, qui ne sont pas sans grandeur. En aimant l’Espagne, il la devine par une sorte d’intuition, il la dépeint moins par un artifice laborieux et prémédité que par le privilège d’une nature heureuse. L’artifice et la préoccupation littéraires ! on les sent bien peut-être encore chez Fernan Caballero, ne fût-ce que dans ce luxe d’épigraphes et de citations françaises qui sont le piège éternel de tous les écrivains étrangers, et qui font ici parfois une discordante figure ; mais quand il raconte, il se retrouve dans sa spontanéité, et il n’est plus qu’Espagnol, un esprit de la plus fine race espagnole. Ses créations, ses combinaisons, ses personnages n’ont aucun reflet d’imitation ; ils sont pris au cœur de la vie nationale. Ils procèdent de l’observation de la réalité et du sentiment de la poésie des choses, deux qualités qui, en se réunissant, en s’équilibrant, font les inventeurs vrais et originaux.

Un autre trait de ce rare talent, un trait surtout où se révèle une imagination de femme, c’est que ses drames n’ont rien de compliqué ; ils n’ont point de ces nœuds vigoureux et puissans qui serrent une action. Fernan Caballero a plutôt le génie des détails, et il fait tout vivre. Il a l’instinct de ces mille nuances souvent imperceptibles pour les regards vulgaires, et qui donnent aux spectacles de la nature, à tous les êtres humains, une physionomie distincte. Comme Walter Scott, plus que Walter Scott lui-même, il se plaît aux digressions, aux conversations sinueuses, s’y abandonne avec délices, multiplie les portraits et les tableaux pleins de fraîcheur, prodigue tout ce qui jette du jour sur les mœurs et les caractères ; il recueille les légendes chantées par les aveugles de l’Andalousie, et passe, avec une aisance gracieuse, des raffinemens de la vie mondaine aux plus humbles scènes populaires, car Fernan Caballero est l’historien du peuple aussi bien que des classes supérieures de la société espagnole. C’est ainsi que tous ces types de la vieille patricienne