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mirable, une législation qui sert de loi à l’Europe : voilà pour l’Italie antique. L’Italie du moyen âge n’a pas été moins féconde et moins merveilleuse : quelle puissance que la papauté ! quels poètes que ceux de l’Italie ! À côté des poètes, quels grands écrivains politiques ! à côté des écrivains, quels artistes ! à côté des artistes, quels savans ! Depuis que l’Italie a perdu son indépendance, qu’a-t-elle produit ? La nature italienne n’est pas moins grande et moins féconde, j’en suis convaincu ; mais la société manque à la nature. L’Italie végète dans un désappointement perpétuel, et je ne veux d’autres témoignages de sa force et de sa vitalité que les convulsions révolutionnaires qui l’agitent de temps en temps. Le vieux titan enseveli sous l’Etna cherche à soulever le poids qui l’accable : il fait trembler la terre ; mais il ne la change pas, et retombe brisé de l’effort qu’il a fait. Les Roumains, qui sont de race latine, ont, comme l’Italie, subi le joug étranger, et ce joug a étouffé leur force. Où donc voulez-vous que les Roumains aient appris à être forts et hardis ? Quel usage auraient-ils pu faire des qualités que vous leur reprochez de ne pas avoir ? Est-ce à la cour des Fanariotes ? et les Fanariotes eux-mêmes, toujours à la veille d’être décapités, qu’auraient-ils fait de leurs grandes vertus ? Est-ce à Constantinople qu’elles leur auraient servi ? Roumains et Fanariotes ont eu les qualités et aussi les vices que comportait leur histoire. Est-ce plus tard, sous la surveillance dictatoriale des consuls russes, qu’ils auraient pu devenir fermes, énergiques, dignes de l’indépendance ? L’histoire des principautés explique pourquoi les principautés n’ont pas d’hommes investis d’une grande autorité morale. Depuis près de trois cents ans, elles sont sous le niveau.

« La guerre civile, dit quelque part Mirabeau, est parfois le seul moyen de redonner des chefs aux hommes, aux partis, aux opinions. » Mot terrible et profond, qui n’est pas moins justifié par l’histoire des nations qui ont eu des guerres civiles que par celle des nations qui n’en ont pas eu ! Ce n’est pas seulement la guerre civile qui amène cet effet, c’est la guerre en général. Le malheur peut-être des principautés dans notre siècle est de n’avoir pas eu de guerre ni nationale ni civile. De là leur manque d’hommes et de noms. Les nations ne vivent que par les noms de quelques grands hommes. La foule n’intéresse jamais. Il faut des individus pour signaler et pour recommander un peuple, comme il faut des monumens pour signaler une ville et la montrer de loin. Ne me parlez pas des villages qui n’ont pas de clochers : ce sont des taupinières ramassées ensemble. Voyez dans notre siècle ce qui a fait la fortune de la Grèce : c’est l’héroïsme de quelques hommes aidé du courage de tous. Canaris, Colocotroni, Botzaris et bien d’autres encore ont appris leurs noms à l’Europe, et ces noms ont protégé la Grèce. Voyez