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comme lui. Il n’a pas voulu pousser jusqu’au bout son avantage numérique ; il a pesé les votes plutôt qu’il ne les a comptés. Il en avait, avec lui d’un grand poids ; il en avait un seul contre lui d’un poids qui lui a semblé décisif : le suffrage de l’Angleterre a fait la majorité contre toutes les lois de l’arithmétique, et trois l’ont emporté sur quatre. Est-ce nous qui blâmerons la modération du gouvernement français ? Non. L’alliance anglaise est, à nos yeux, d’un grand prix ; ce prix, il a toujours fallu le payer ; il le faut encore. Nous faisons seulement une réflexion. Si, dans tous les congrès et dans toutes les questions diplomatiques, trois avec le suffrage de l’Angleterre valent quatre, cela veut dire qu’il n’y a plus d’égalité en Europe et que l’équilibre européen n’existe plus ; cela veut dire, pour qui sait compter en politique, qu’un, même seul, vaut cinq ou six. Ce ne sera pas là, nous en sommes convaincus, le résultat de la guerre d’Orient, entreprise pour le maintien de l’équilibre européen. Nous avons cédé cette fois à l’Angleterre, quoique nous eussions la majorité pour nous ; l’Angleterre nous cédera une autre fois. Nous avons en ce moment une créance sur sa modération : elle y fera honneur dans la plus prochaine liquidation diplomatique.

Nous avons exprimé franchement en quoi nous différions et en quoi nous nous rapprochions de la circulaire de M. le comte Walewski. Une fois notre dissentiment exprimé sur le point principal, c’est-à-dire sur la commission centrale, dont nous attendons moins que M. le comte Walewski, nous ne pouvons que louer la bienveillance sincère et consolatrice que cette circulaire témoigne à la nation roumaine. Excepté la vie que demandaient les Moldo-Valaques, la France leur a fait accorder tout ce qu’elle a pu, elle leur a même donné ce qu’elle n’a pas elle-même ; ainsi, dans les principes de 89 qui se trouvent reproduits par l’acte collectif des principautés, et que la circulaire de M. Walewski énumère avec une légitime fierté, j’en vois qui ne sont pas en pratique chez nous de nos jours, par exemple la responsabilité ministérielle. Chez nous, les ministres ne sont plus responsables devant les chambres ; ils ne sont plus responsables que devant l’empereur, qui lui-même ne répond qu’au peuple. De ce côté, la constitution roumaine se rapproche plus que la nôtre des principes de 89. Je lisais, il y a plus de trente ans, une histoire des Juifs jusqu’à Jésus-Christ, écrite par un Juif ; elle finissait par ces mots : « Nous avons donné au monde la religion dont nous n’avons pas voulu. » Cette phrase ne manquait pas d’une certaine fierté que je me suis rappelée en lisant la circulaire de M. le comte Walewski, qui s’applaudit d’avoir donné aux populations moldo-valaques la pratique de quelques-uns mêmes des principes de 89 que la France n’a pas gardés.