Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/346

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gissent pas, ils vivent à la façon de la Belle au Bois dormant, dans un enchantement qui les conserve immortels, mais inactifs et indifférens. Je crains le même enchantement pour le principe de l’unité roumaine. Il existe par sa propre force, indépendamment du titre inséré dans l’acte du 19 août 1858 : il est et il continuera d’être le vœu et l’espérance d’une nation souffrante ; mais quelle vie aura-t-il ? Quelle influence exercera-t-il ? En quoi ce principe proclamé changera-t-il l’état des choses en Moldavie et en Valachie ?

Vous oubliez, me dira-t-on, la commission centrale et ce que la circulaire du 20 août appelle le conseil permanent chargé de veiller au maintien de l’unité de législation dans les deux principautés. Je ne veux pas tirer un mauvais horoscope de la commission centrale, je suis même prêt à reconnaître que cette commission centrale, si elle était composée d’hommes très indépendans, très fermes, un peu ambitieux, et de plus si elle était unie, pourrait gouverner le pays. Ce serait le conseil des dix ; mais le sera-t-elle ? Être membre de la commission centrale sera une place et non un pouvoir. Je me souviens qu’examinant un jour l’ancien règlement organique des principautés, je fus frappé de la ressemblance que ce règlement avait avec la constitution française de 1848. Cette ressemblance n’a porté bonheur ni au règlement organique ni à la constitution de 1848. Je suis frappé en ce moment d’une ressemblance aussi que je trouve entre la commission centrale des principautés et notre sénat conservateur. Il y a des personnes qui croient que le sénat n’a aucun pouvoir : c’est une grande erreur ; on voit, quand on lit la constitution, que le sénat conservateur a un pouvoir immense. Il pourrait tout pour la liberté, tout même pour la révolution, plus même encore pour la révolution que pour la liberté ; mais rassurons-nous, le temps, les mœurs, les caractères, font que le pouvoir immense qu’a le sénat est entre ses mains un dépôt qu’il garde comme les vieux notaires gardaient les dépôts, sans leur faire produire aucun revenu. Ce qui fait que le sénat, outre ses mœurs et son caractère, ne fait pas volontiers usage du pouvoir qu’il a, comme le Moniteur même le lui reprochait il y a deux ou trois ans, c’est que le sénat, non plus que le corps législatif, n’a ni action ni influence directe sur l’administration et sur les ministres. La commission centrale des principautés est,

… Si parva licet componere magnis,


comme le sénat conservateur, sans action et sans influence directe sur l’administration. C’est l’hospodar qui administre. « Or, dit Mirabeau quelque part dans sa correspondance avec M. de La Marck, administrer, c’est gouverner ; gouverner, c’est régner. » Voilà le