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la question d’Égypte, et son attitude, en 1858, dans la question des principautés, des ressemblances et des différences qu’il est curieux d’indiquer.

En 1840, la France demandait pour Méhémet-Ali l’hérédité en Égypte et le pachalik viager de la Syrie. La Russie parvint à coaliser l’Angleterre, l’Autriche et la Prusse contre cette prétention pacificatrice de la France, à la mettre, comme on disait alors, hors du concert européen. Cet échec procuré à la monarchie de 1830 fit grand plaisir à l’empereur Nicolas. Qu’en résulta-t-il pour l’Orient ? La Syrie fut rendue à la Porte-Ottomane, c’est-à-dire à l’anarchie, qui consume cette belle province depuis 1840, car la Turquie peut bien recouvrer les provinces qui lui sont rendues par les calculs plus ou moins avisés, plus ou moins intéressés de la diplomatie européenne ; mais elle ne peut pas les gouverner. Quant à l’Égypte, elle resta sous le pouvoir héréditaire de Méhémet-Ali et de sa famille ; elle y est encore. La France, quoique hors du concert européen, obtint la plus importante de ses conclusions, l’hérédité en Égypte. Elle parvint à établir ce qu’elle voulait, un état nouveau en Égypte, une exception au dépérissement universel de l’Orient ; c’est là en effet toute la politique de la France en Orient depuis cinquante ans : créer selon les circonstances toutes les exceptions possibles à la décadence et à la consomption générale de l’Orient, ne pas brusquer les circonstances, ne pas les amener de force, mais, quand elles viennent, ne pas les négliger, favoriser l’œuvre du temps, régénérer enfin et émanciper l’Orient par lui-même, afin qu’il ne soit pas conquis et asservi par des voisins ambitieux, qu’il ne cesse pas d’être turc pour devenir russe, autrichien ou anglais, qu’il ne détruise pas par sa mort l’équilibre européen. C’est bien assez des embarras qu’il donne en ce moment à l’Europe par les faiblesses et les ébranlemens perpétuels de son existence.

Le gouvernement français a suivi dans la question des principautés la politique demi-séculaire de la France : il a voulu aussi créer dans les principautés un nouvel état en Orient, une exception aux chances de la grande liquidation orientale. La cause des principautés était meilleure à défendre que celle de l’Égypte. L’Égypte de Méhémet-Ali était l’œuvre d’un homme et de vingt-cinq ans d’efforts habiles. Les principautés étaient une nation et un état indépendant, reconnu par des traités solennels, anciens et nouveaux, depuis le moyen âge jusqu’à nos jours. En demandant pour les principautés l’union et un prince étranger, le gouvernement français en 1858 semblait suivre la marche du temps ; il ne faisait pour ainsi dire que donner un tour de faveur à l’œuvre infaillible de l’avenir. Pourquoi donc cette politique honnête, modérée, essentiellement