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résultat des délibérations du congrès, sachant que l’Europe ne pouvait pas s’entendre sur la question de l’union des principautés, nous ne pouvions pas nous intéresser bien vivement à un drame dont nous connaissions d’avance le dénoûment ?

Ajoutez que ce dénoûment n’a rien qui puisse plaire à la politique française. Le gouvernement français avait été l’un des plus ardens promoteurs de l’union des principautés, et l’opinion publique lui savait gré de cette généreuse sympathie, témoignée en mille occasions. Personne n’a oublié que, le 26 mars 1855, dans une des séances des conférences de Vienne, l’ambassadeur de France, M. le baron de Bourqueney, demandait l’union des principautés ; il insistait sur la nécessité « de faire des principautés une espèce de barrière naturelle qu’il ne serait plus permis de franchir de façon à menacer l’existence de l’empire ottoman. Parmi les combinaisons qui se présentent comme assurant à la Moldavie et à la Valachie une force de résistance suffisante, disait le mémorandum présenté par M. le baron de Bourqueney, la première nous a paru être la réunion des deux principautés en un seule. Il est inutile d’insister sur ce que la nature a fait pour faciliter cette combinaison, de signaler l’identité de langage, de mœurs, de lois, d’intérêts : les désirs des deux provinces paraissent, sous ce rapport, d’accord avec les vues des gouvernemens alliés… Il y a des motifs de croire que les conseillers les plus éclairés du sultan seront favorables à une combinaison qui créerait sur la rive gauche du Danube une grande principauté de quatre millions d’habitans, au lieu de deux états qui jusqu’à présent ont été trop faibles pour opposer une résistance efficace à l’action de la Russie. »

J’interromps un instant cette importante citation pour faire en passant une observation. Je crois, avec le mémorandum français du 26 mars 1855, que la Porte à ce moment acceptait l’union des principautés. Elle avait peur, et elle avait la sagesse de la peur. Elle avait besoin de l’Europe et de l’appui de la France, qui, on s’en souvient, avait marché la première, et résolument, à son secours. Plus tard, et une fois délivrée du péril, la Turquie s’est opposée opiniâtrement à l’union des principautés : elle ne craignait plus la Russie, et elle s’applaudissait comme d’une grande habileté d’avoir repoussé la Russie à l’aide des forces de l’Occident. « Il y a deux manières de saisir un charbon ardent, disait un officier turc : un imbécile le saisit avec les doigts, et se brûle ; l’homme habile le prend avec les pincettes. Les puissances alliées sont les pincettes ! avec lesquelles nous avons saisi la Russie[1]. »

  1. J’extrais ce mot des lettres de M. Lejeau sur les principautés. Une de ces lettres a été insérée dans le Journal des Débats en 1857.