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des personnes se reconnaissent en Angleterre jusqu’à la manière dont on fait retentir un marteau de porte[1]. Il serait pourtant injuste de regarder comme infranchissables les barrières qui s’élèvent dans le royaume-uni entre les différens groupes de la société. Dès qu’un artisan sort de sa profession par des talens qui le distinguent, il est aussitôt admis dans une autre sphère : il y en a plus d’un exemple dans l’industrie, dans les arts et dans la littérature.

Pour décrire le caractère, le personnel et les habitués des différens public-houses, il faudrait embrasser toute la vie de Londres, depuis le haut jusqu’au bas de l’échelle, depuis le West-End jusqu’à Wapping. Quelques-uns de ces établissemens sont considérables, et affectent des somptuosités de bon goût. Le comptoir est tenu par des femmes belles, froides et ornées, les princesses du commerce, telles qu’il ne s’en rencontre peut-être qu’en Angleterre, à l’abri des séductions humaines derrière un calme imposant et la majesté olympique des affaires. Les vastes caves se vident et se remplissent tous les huit jours de gros tonneaux cerclés de fer. Les chevaux de brasseurs, malgré leur grande force, ont été entraînés plus d’une fois par le poids des larges tonnes dans l’embouchure de ces souterrains. Le publicain préside solennellement à tout, aidé par les garçons (pot-boys), entre les mains desquels circulent jour et nuit les coupes d’étain bordées d’une frange d’écume. Ici tout est lumière, joie tranquille, comfort mêlé d’élégance. Dans les quartiers populeux au contraire, la figure extérieure des public-houses se rembrunit. Quelques-uns de ces établissemens conservent bien encore un air de luxe, mais de luxe sale et enfumé, qui annonce les palais de l’orgie. Là, de pauvres gens cherchent aux maux habituels d’une vie incertaine d’âpres consolations. La loi abandonne à la conscience du publicain le soin de tempérer des excès qu’il a malheureusement tout intérêt à encourager. L’un de ces cabarets, connu sous le nom de Dirty-Dick, à la porte sombre et étroite duquel se presse dans Bishopsgate une population étrange, hommes et femmes en haillons, refuse néanmoins de servir à chacune de ses nombreuses pratiques plus d’un verre de liqueur enivrante. Une aventure tragique explique, dit-on, cet usage : un homme tomba mort près du comptoir à la suite de plusieurs libations copieuses et répétées. Je dois dire que cette limite, quoique bonne et morale en elle-même, n’arrête point les excès. Les gens altérés, et qui craignent, comme disent les Anglais, qu’une « toile d’araignée ne s’attache à leur gosier sec, » en sont quittes pour sortir de la maison et pour y ren-

  1. Il y a le frappement (knock) du petit fournisseur, du mendiant, du marchand forain (un seul coup), celui du facteur (un double coup sec), du visiteur qui, selon son importance, s’annonce à toute la maison pur plusieurs coups répétés.