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les plus flatteurs; elle est, à en croire les inscriptions des public-houses, belle, brillante, splendide; le porter au contraire est fort, célèbre, monumental. Une des conséquences de cette double boisson alimentaire est de remplacer plus ou moins chez les peuples du Nord l’usage du pain. On s’étonnera peu d’un tel résultat diététique, si l’on considère que la bière contient, sous une forme liquide, les mêmes principes substantiels que le produit de nos boulangeries contient sous une forme solide. Les races latines mangent le pain, les races saxonnes le boivent.

On faisait autrefois une distinction entre les inns, les taverns et les public-houses. Les inns (auberges) appartiennent maintenant à l’histoire de la vieille Angleterre. Leur règne a fini avec celui des diligences. On rencontre pourtant encore quelques auberges dans les vieux quartiers du vieux Londres. La plus ancienne est le Talbot ou Tabard, à laquelle se rattache un intérêt littéraire : elle a eu l’honneur d’être mentionnée par le poète Chaucer dans ses Contes de Canterbury[1]. Les autres sont les Clés croisées (Cross Keys), la Treille, les Quatre Cygnes, le Dragon vert et le Bœuf, qui, s’il faut en croire les antiquaires, existaient avant 1750. On peut se faire une idée de ce qu’étaient alors les inns de Londres et de la campagne par une gravure de Hogarth dans laquelle on voit une diligence arrêtée et les voyageurs, — parmi lesquels une volumineuse femme, — en train de monter une échelle courte et d’entrer dans l’intérieur du véhicule. Au front de la voiture, attelée le plus souvent de huit chevaux, luisait une large lanterne comme un œil de cyclope, et chacun de ces chevaux secouait une sonnette suspendue à ses harnais qui répandait dans les villes et sur les grandes routes, au milieu des calmes nuits d’été, un bruit agréable. A l’entrée du cabaret ou de l’auberge était une enseigne fixée à un poteau de bois, ou d’autres fois un monstrueux pot d’étain tenu à une cer-

  1. Une société de vingt-neuf pèlerins se rencontre à Tabard-Inn. Ils ont tous fait vœu de se rendre à la châsse de Thomas Becket, dans la ville de Canterbury. Ces pèlerinages n’interdisaient point la bonne chère et les gais propos. Le poète se met joyeusement de la partie. Le maître du cabaret en fait autant et propose que, pour charmer les longueurs de la route, chacun d’eux raconte une histoire, en allant et en revenant; celui dont le récit sera le plus intéressant aura un souper payé par le reste des convives. Chaucer vivait de 1308 à 1400. On lit dans High street (Southwark), une des plus anciennes rues de Londres, une inscription ainsi conçue : « Ici est l’auberge où Geoffrey Chaucer et vingt-neuf pèlerins logèrent lors de leur voyage à Canterbury en 1383.» Par une confusion de mots, l’enseigne du Tabard, — une cotte d’armes sans manches portée autrefois par les nobles à la guerre, — a été changée en celle du Talbot, une espèce de chien de chasse. Les antiquaires admirent dans la cour de cette hôtellerie une galerie en bois qui se présente en face de l’entrée dans High street. Cette galerie est supportée par de gros piliers ronds, aussi en bois; elle soutient à son tour, sur d’autres piliers d’une forme plus légère, un toit très élevé qui s’incline en une pente rude.