Page:Revue des Deux Mondes - 1858 - tome 18.djvu/292

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre, moitié réelle et moitié imaginaire, et que je crois préférable. Tout cela ne fait pas un voyageur, et cette manière de procéder prouve au contraire que je ne suis pas né pour aller loin.

— Vous avez vu Sidi-Okba ? me dit Vandell en suivant sur sa carte la ligne ponctuée qui de Biskara conduit à l’Oued-Ghrir.

— Oui, lui dis-je, à mon second voyage.

— Vous souvenez-vous de la mosquée et de la sépulture du saint, le vicaire et l’un des premiers lieutenans du prophète ? Avez-vous remarqué la forme toute particulière du monument, l’un des plus curieux des Zibans, et vous a-t-on raconté la légende extrêmement célèbre qui s’y rattache ?

— Et comme il me vit embarrassé de lui répondre : — Qu’avez-vous donc fait à Sidi-Okba, si vous ne connaissez même pas la seule chose qu’il y eut à connaître ?

— Mon cher ami, lui dis-je, il faisait très chaud, très beau le jour où j’y passai. Le ciel chauffé à blanc s’étendait comme un miroir d’étain au-dessus du village, à demi consumé déjà par une demijournée de soleil sans nuages. On me mena voir la mosquée, et je la vis ; on me raconta son histoire, et jel’écoutai ; mais ce dont je me souviens nettement, c’est surtout ce qui suivit. Il y avait une collation préparée pour nous dans un jardin ; des nattes par terre, au pied d’un figuier, sur nos têtes une étoffe de tente attachée par des cordes à trois palmiers faisant triangle. Le kaïd, que je pourrais vous peindre, nous servait. Nos chevaux étaient entravés dans le même enclos, couverts d’écume et les naseaux enflammés par la marche du uîatin. Il était midi, et c’était, je vous dirai la date exacte, le 15 mars 1848. Nous quittions la smala d’un neveu du scheik El-Arab, un Ben-Ganâh riche et beau comme tous les membres de cette famille magnifique. Comme nous étions en route et à michemin à peu près dudouar au village, un courrier arabe qui nous cherchait depuis le matin était accouru vers nous au grand galop. Il avait à nous remettre un billet et le premier feuillet d’un journal de la part du commandant, nous dit-il. Ce billet et ce journal, qui portait en tête République française, nous apprenaient une nouvelle inattendue et fort grave, comme vous voyez. Je relus l’un et l’autre et attentivement après le repas, dans le jardin même, au milieu d’un cercle de gens dont pas un ne parlait’ma langue, mais très soupçonneux comme des Arabes. Vous savez comment les nouvelles s’ébruitent dans ce pays, c’est le vent qui les porte ; les palmiers faisaient en froissant leurs feuilles un certain bruit qui ressemblait à des inquiétudes. Je cueillis des palmes mouchetées, en raison de la circonstance et puis du lieu ; je songeai à mes amis de France. Un coup de fusil parti par hasard fit envoler des centaines de moi-