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est envahi par des reflets brûlans. Dès que le soleil est descendu derrière la terrasse, le crépuscule entre dans la chambre. Alors les couleurs s’effacent, les ors s’éteignent, le narghilé transpire des fumées plus bleues, et nous voyons apparaître le feu du fourneau. Le soir n’est pas loin, et nous atteignons ainsi la fin du jour.

Il nous est arrivé de dîner chez Haoûa. Ces jours-là, l’après-midi se passe en cuisine, à piler le poivre, la cannelle et le safran, à rouler le couscoussou dans les bassins de cuivre, à le faire mijoter sur un feu mesuré. Assra s’occupe des pâtisseries au miel. Vandell, qui se pique avec raison d’avoir été traité par les khalifats des trois provinces, introduit à la table d’Haoûa des mets quasi-fabuleux. Le fond de toute cette cuisine princière se compose invariablement de petits morceaux de viande et d’une grande quantité de fruits secs ; mais la nouveauté dépend du choix, de l’abondance et de la violence exagérée des épices.

Lorsque par hasard la grande amie d’Haoûa, la belle et blanche Aïchouna, arrive à l’heure du dîner, ou, ce qui est d’un meilleur monde, se fait annoncer dès le matin par sa petite négresse Yasmina, la fête alors devient complète, car on peut être assuré qu’il y aura entre les deux amies émulation de toilette et de parures. Ce plaisir nous a été donné l’autre soir. Aïchouna arriva vers six heures, suivie de sa servante toute vêtue de rouge. En entrant dans la chambre, elle ôta son grand voile, laissa tomber au bord du tapis ses sandales de cuir noir, et vint se poser sur le divan, magnifiquement, comme une idole. Elle était tout à fait splendide, les jambes entortillées dans un fouta noué très bas avec un petit corset sans manches, émaillé de métal comme un fourreau de poignard, et une simple chemisette de gaze étoilée d’argent, qui, par une vanité fort excusable, ne servait qu’à moucheter de points brillans la nudité presque absolue de ses épaules et de sa large poitrine.

— Autant vaudrait ne pas avoir de linge, observa Vandell en la voyant entrer, car il y en a si peu épais qu’on dirait une buée.

— Mon cher ami, lui dis-je, ne savez-vous pas le mot des Indiens, ces pudiques amateurs de la transparence ? Ils comparent ces gazes légères à des eaux courantes. La belle Aïchouna est de leur avis ; elle s’habille avec une métaphore.

Presque aussitôt Haoûa, qui nous avait quittés depuis une heure, souleva la portière de sa chambre de toilette, et parut. Elle portait avec un grand air le costume impérial des femmes de Constantine, c’est-à-dire trois longs kaftans l’un sur l’autre. Deux étaient de mousseline à fleurs ; le troisième, en drap d’or et l’habillant sans plis, donnait une certaine raideur à sa taille si souple, et l’enfermait dans une sorte d’armure éblouissante. Un fichu de drap d’or aussi,