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Réduite à ses propres "ressources, elle n’est plus rien. Elle prend naissance au fond d’un ravin étroit, peu profond, et comme toutes les rivières montagneuses à leur origine, on la surprend d’abord dans un riant berceau à fond de roche, tapissé de feuillage, de roseaux et de lauriers-roses ; elle y naît dans la fraîcheur de l’ombre, dans la retraite et dans le silence, comme les idées dans le paisible esprit d’un solitaire.

Il y a quelques années encore, les Blidiens ne sortaient pas sans avoir un fusil chargé sur l’épaule, et croyaient prudent d’être en nombre et tous armés, pour accomplir cette petite promenade à deux kilomètres au plus de leur ville. Aujourd’hui bien entendu chacun va seul aux sources de l’Oued en fumant son cigare avec autant de sécurité qu’au jardin public du Tapis-Vert, et beaucoup plus agréablement.

On a bâti, jusqu’à l’entrée de la gorge, des moulins et des rudimens d’usine. Je n’y regarde jamais de très près ; je crois cependant que ce sont des briqueteries. En peu plus loin, des travaux de barrage ont été faits pour régulariser le cours du ruisseau ; ce n’est donc que quelques cents mètres au-delà que la promenade commence à devenir intéressante. La route s’engage alors dans le ravin entre des pentes fort pittoresques, parmi des rochers tombés de la montagne et roulés par la rivière au moment des grandes eaux. L’Oued coule à côté du sentier, tantôt sur un lit de sable et de gravier ressemblant à de l’ardoise en poudre, tantôt à travers de larges blocs que le courant contourne en écumant un peu, quand il n’a pas la force de les arracher de son lit. La montagne est rocheuse, escarpée et fréquemment creusée par de profonds éboulemens. On y voit peu d’arbres, excepté de loin en loin quelques vieux oliviers plantés presque horizontalement dans les talus, qui restent attachés par les racines et dont le branchage échevelé pend sur le chemin. Un peu plus loin, la gorge s’élargit et se découpe en ravins latéraux ; la végétation s’épaissit, et chaque écartement de la montagne forme alors un entonnoir baigné par le fond et encombré de hauts feuillages.

On approche ainsi du cimetière. Il est tel que tu l’as vu : tout entouré de barrières rustiques, composées d’arbres morts et de halliers, et protégé par une ceinture impénétrable de lentisques, de myrtes et de lianes ; au fond, une sorte de bocage ombreux, de grands oliviers très verts, des caroubiers plus sombres encore, d’immenses frênes et des peupliers-trembles, au tronc blanchâtre, ayant à peu près la taille et le port des platanes ; au centre de cet enclos solitaire, très recueilli, très abrité, où le soleil ne pénètre que pendant le milieu du jour, un terrain plein d’herbes et couvert