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— Tu es la bien nommée, lui dis-je en répétant ce mot aérien, tout composé de voyelles et qui se prononce d’une seule haleine, exactement comme on respire, — car ton nom veut dire : l’air respirable et l’amitié.

— Fait-il chaud ? reprit-elle entre deux silences.

— Très chaud, et il est bien fou celui qui cherche auprès du feu un abri contre le soleil.

Il y eut une nouvelle pose après ce nouveau madrigal, qui la fit sourire.

Considère, mon ami, qu’excepté les mots de monsieur, bonjour, à revoir, asseyez-vous, Haoûa ne connaît pas quatre syllabes de pur français, et que j’en suis réduit à parler arabe, ne voulant pas employer le sabir, affreux dialecte indigne de cette voix unique, craignant avant tout de la rendre ridicule, et volontiers me résignant à l’être. L’entretien dès lors fut si simple, que j’aurais de la peine à te le rapporter. Je renouvelai le tombak du narghilé, je fis des cigarettes qu’elle fuma ; Assra nous servit le café ; je parcourus la chambre et fexaminai ; j’allais de la porte au volet fermé donnant sur la rue ; j’admirais ses étagères, et de ses étagères je revenais à elle.

Elle avait au cou, entortillé trois ou quatre fois comme un immense collier, un de ces longs chapelets de fleurs d’oranger que fabriquent les Juifs. Il était tout frais cueilli du matin, et l’odeur en était telle que, pour la supporter sans ivresse, il faut être femme, et femme arabe.

— Prends-le, me dit Haoûa en détachant lentement cette longue guirlande embaumée et en me la jetant comme elle aurait fait d’une chaîne.

Le temps se passa de la sorte, je veux dire une heure ou deux. À ce moment, je crus qu’elle avait envie de dormir. — Non pas, dit-elle. — Et cependant elle se pencha en arrière, la tête à demi renversée sur les coussins. Le silence était profond, l’air alourdi de fumées odorantes et accablant. On n’entendait plus que le murmure assoupissant du narghilé qui s’épuisait. Ses yeux se fermèrent ; je vis une ombre légère descendre alors sur ses joues, dont la peau frémit ; c’était l’ombre nocturne de ses longs cils, qui se posaient sur elles comme deux papillons noirs. Haoûa ne bougea plus, et moins d’une minute après qu’elle avait dit : non, ce paisible esprit appartenait déjà au sommeil.

Comme je traversais la cour pour quitter la maison, un des enfans juifs, le plus petit, cracha de côté en détournant la tête, ce qui, tu le sauras, est un signe de souverain mépris.