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espèce. » Le barbier Hassan opina que la chose était évidente, les vieillards furent de l’avis de Hassan ; Ben-Hamida seul n’admit pas cette explication comme le dernier mot de la science européenne et sourit.

Dernière histoire : on parla de Si-Mustapha-ben-Roumi, autrement dit le commandant X…, et de sa fameuse aventure avec Béchir. L’anecdote est chevaleresque : ce fut l’Arabe en burnouss, Hadjout, qui la raconta, non pas, bien entendu, comme une histoire nouvelle, car elle court les rues, mais comme un récit qu’un homme de sa race ne peut jamais répéter trop souvent. La voici, du moins très abrégée :

Le commandant X… arriva tout jeune à Alger, vers la première ou la deuxième année qui suivit la prise. À cette époque, Alger n’avait pas de collège, et la première éducation de l’écolier se fit sur la place publique avec les enfans du peuple indigène. Il apprit là diverses choses qu’à pareil âge on apprend sans maître, entre autres la langue du pays et les plaisirs de l’indépendance ; mais on ne trouva pas que cela valût des leçons de famille, on le corrigea. La correction lui déplut, et comme il n’aimait pas la contrainte, il quitta sa famille et s’enfuit. Arrivé dans le Sahel d’Alger, au moment de descendre vers la plaine et peut-être de réfléchir aux hasards de son entreprise, il rencontra deux cavaliers arabes qui voyageaient ou maraudaient. — Qui es-tu ? — Un tel, fils d’un tel. — Où vas-tu ? — Devant me.. — Veux-tu venir chez les Hadjout ? — Les Hadjout alors étaient un grand sujet d’effroi. Bravement l’enfant répondit : — Je veux bien. Un des maraudeurs le prit en croupe, et le soir même on le conduisait tout droit à la tente du kalifat Béchir. — C’est un otage, dirent les cavaliers. — Non pas, dit Béchir, c’est un enfant. — Et ce sera le mien, dit la femme de Béchir, qui l’adopta comme un présent du hasard, le fit circoncire et le nomma Mustapha, c’est-à-dire le purifié. Mustapha grandit sous la tente, il brunit au soleil, tout de suite il mania des sabres ; élevé par des centaures, il devint ce qu’il est, un extraordinaire cavalier. Quand il eut quinze ans, on lui donna un cheval et des armes. Quand il en eut dix-huit, un beau jour l’ennui de la tente le prit, comme l’avait pris déjà l’ennui de la maison. La guerre était partout ; il avait à choisir entre deux patries, l’une natale et l’autre adoptive : il se décida pour la première, Il quitta le douar, non pas la nuit, mais en plein jour ; il dit à Béchir : — Je m’en vais, — et il courut à Blidah s’enrôler dans les spahis. De Blidah il passa à Koleah ; de libre qu’il était, il devint soldat, mais toujours plutôt Arabe que Français. Deux ans plus tard, une razzia fut organisée contre les Hadjout. Il fallait un guide pour diriger la colonne, un guide sûr, qui connût le pays, la lan-