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comme il portait le turban d’hiver, il avait le cou, la tête et le visage élégamment enveloppés d’une écharpe de mousseline à petits pois roses.

Son adversaire, celui contre lequel il avait perdu, était un Arabe de la plaine, un peu court, un peu gros, barbu, très basané, en burnouss, en haïk, et par-dessous habillé, comme les cavaliers, de la veste et des gilets brodés de soie ; un mince cordonnet de soie grise, à glands d’or, accompagnait autour de sa tête le khrit, ou corde en poil de chameau noir ; un chapelet lui pendait au cou, et deux ou trois amulettes étaient attachées dans sa coiffure.

— Regardez bien celui-ci, me dit Vandell, c’est un homme de sabre : je vous dirai comment il s’en sert à l’occasion.

La réunion se composait en outre de bourgeois du voisinage, moitié marchands d’épices et de tabac, moitié rentiers, gens âgés, grisonnans, parlant à voix basse, fumant lentement, prudemment couverts de burnouss de chambre qui les habillaient comme des douillettes, avec des turbans aux plis méthodiques, des gilets fermés et des bas de laine écrue qui les chaussaient jusqu’aux mollets. Les savates étaient alignées par terre, devant les banquettes, et chacun d’eux avait à portée de la main soit la courte bougie rose, soit la lanterne de papier peint, qui devait l’éclairer au retour, car la nuit était fort obscure.

Je voudrais te faire comprendre à peu près de quoi l’on causa, car des gens de vie casanière ne prendraient pas rendez-vous, à pareille heure du soir, chez un barbier, dans l’unique intention d’y former cercle et de se taire. Or la conversation arabe ressemble à toutes les conversations oiseuses, où l’inutilité des choses dites ne s’explique que par une contagieuse démangeaison de la langue, mais avec des modes particuliers que la pantomime traduirait plus aisément que la parole écrite. Ce sont d’abord les salutations de l’arrivée, qui reviennent à temps égaux, comme des retours voulus de politesses, et qui marquent le rhythme du discours, en fixent les repos, en signalent les reprises : — politesses sur tout, questions sur tout, bénédictions sur tout, excepté sur la femme, dont jamais on ne doit s’informer ; — puis des curiosités comme les nôtres, mais qui ne sont plus les nôtres ; un commérage en sourdine, et tout à fait local, sur la politique, sur les affaires françaises, sur des intérêts minimes de municipalité, de ville, ou de tribu ; — puis encore des anecdotes d’un autre monde et de l’autre monde, vieilleries à dormir debout qui, depuis leur origine, ont conservé le don d’émouvoir, de rendre attentifs, ou de faire rire avec satisfaction ceux des auditeurs qui les connaissent le mieux. Chacun les sait par cœur, et chacun cependant se donne tour à tour le plaisir naïf de les en-