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construites pour de pareils assauts, menaçaient d’éclater à chaque nouvel effort du vent ; les vitres pliaient, tout près de se rompre, et ma maison tremblait comme un arbre déraciné ; mais la chose effrayante à entendre et à voir, quand on parvient à la voir, c’est la mer.


Fin janvier.

Me soleil n’a pas reparu, le ciel est terne ; des couleurs chagiines ont défiguré ce beau pays, revêtu de feuillage en dépit de l’hiver : heureux pays, dont la seule expression naturelle est le sourire ! Le vent continue de souffler, la mer de remuer des eaux mornes en exhalant des soupirs irrités.

Sais-tu ce qu’il y a de plus pénible pour l’esprit dans ce sombre tableau, si confusément composé de pluie qui tombe, de flots qui roulent, d’écumes qui jaillissent, de nuages en mouvement ? C’est de ne trouver d’équilibre nulle part, et de regarder indéfiniment des choses vagues qui vont et viennent, se balancent, se troublent, dans la perpétuelle oscillation d’un roulis qui semble ne pouvoir plus s’apaiser. Rien pour arrêter la vue, ni qui la repose, ni qui la satisfasse en la fixant sur des points d’appui : une étendue flottante, une perspective indécise de formes insaisissables ; à terre, pas un objet qui ne soit agité ; en mer, pas une ligne de nuages ou d’eau qui ne soit mobile, pas un trait qui ne s’évanouisse aussitôt formé. Ce petit supplice est un de ceux que j’ignorais.

S’il devait durer, je quitterais Mustapha, où la mer est insupportable à voir quand elle n’est plus calme. En attendant, je ne la regarde plus, je tâche de ne plus l’entendre, et je fais mon possible pour l’oublier. Je travaille ; je me console avec des couleurs claires, des formes rigides, de grandes lignes bien nettes. Ce n’est pas la gaieté qui me plaît dans la lumière ; ce qui me ravit, c’est la précision qu’elle donne aux contours, et de tous les attributs propres à la grandeur, le plus beau, selon moi, c’est l’immobilité. En d’autres termes, je n’ai de goût sérieux que pour les choses durables, et je ne considère avec un sentiment passionné que les choses qui sont fixes.


4 février.

Je ne sais pas si l’hiver est fini, mais il fait très beau.

Le paysage est transfiguré, et toute la campagne est redevenue verte. J’avais donc calomnié l’hiver, qui témoigne aujourd’hui de sa bienfaisance. Grâce à la prodigieuse quantité des pluies tombées, voici les sources remplies, les sillons ranimés, les arbres gonflés de sève, et les plus petites veines de la terre approvisionnées d’eau pour une année. Il n’y a pas de terrain si maigre qui n’ait recouvré