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REVUE. — CHRONIQUE.

sions de Charles VIII et de Louis XII, quoiqu’elle soit encore masquée, aux yeux émerveillés de la postérité, par les splendeurs du siècle de Léon X. Après les inepties et les défaites de l’invasion française, l’Espagne s’impose à l’Italie et règne sur elle. Ne faut-il pas résister à la réforme, qui est la négation de tout ce qu’ont cru et aimé les Italiens ? L’Espagne est acceptée, parce que, au rebours des papes et des empereurs, elle admet le travail des révolutions passées, et ne cherche ni à réveiller les vieilles inimitiés, ni à en susciter de nouvelles.

Essayons de résumer, d’après M. Ferrari, cette histoire si complexe et si difficile. Pendant les siècles où l’Italie a marché vers l’accomplissement de ses orageuses, mais grandes destinées, il y aurait eu neuf époques après celle du royaume longobard : — les comtes, — les évêques, — les consuls, — les podestats, — les deux sectes, — les tyrans, — les seigneurs, — les condottieri, — le protectorat espagnol. Chacune de ces révolutions se subdivise en plusieurs phases, chaque phase engendre son gouvernement, chaque gouvernement essuie le feu d’une réaction impériale et pontificale, et chaque réaction celui d’une nouvelle insurrection qui rétablit son gouvernement toujours plus victorieux. En outre, chaque époque particulière à sa loi. Prenons par exemple celle des évêques : le comte est chassé par le chef spirituel de la cité, puis imposé par la réaction, puis chassé de nouveau, puis remplacé par un évêque librement élu, lequel succombe à son tour à une nouvelle réaction, dont, par un sixième mouvement, il sort victorieux. Six révolutions dans une époque, voilà le compte, d’après M. Ferrari ; encore avoue-t-il qu’il y en a quelquefois davantage, onze à Milan, et trente à Rome. Quelques exceptions de plus comme celle-là, et la règle court grand danger de n’exister que dans le cerveau du philosophe.

En faisant un travail analogue sur chaque époque, on arrive à quarante-deux mutations par ville, et en multipliant ce nombre par celui des centres politiques, on obtient approximativement sept mille deux cent vingt-quatre mutations d’Othon Ier à Charles-Quint. Que serait-ce si M. Ferrari n’y mettait pas de modération ? Il néglige tous les mouvemens avortés et ne calcule que sur cent soixante-douze états, quoiqu’il déclare qu’au début il y avait plus de deux mille centres en Italie ! J’avoue que je ne vois pas sans effroi l’histoire, même la philosophie de l’histoire, s’engager dans une pareille voie, car de l’arithmétique à l’algèbre il n’y a pas loin, et bientôt l’on en vient à dire « que les hommes sont des signes algébriques, des êtres abstraits, que le génie de l’un est compensé par l’ineptie de l’autre, qu’il s’agit de deviner l’énigme et non d’admonester les gens, que les hasards sont des détails cédant à la loi qui les régit. » Ce serait à faire maudire Herder et Vico, si l’on ne tenait compte de l’exagération naturelle aux meilleurs disciples, et si on ne leur savait gré de s’être inspirés de cette vérité, que, « hors du mouvement des idées, il n’y a de salut ni pour la philosophie, ni pour l’érudition. »

Il y a toutefois un grand argument contre les idées de M. Ferrari, c’est que, pour les admettre, il faut croire qu’à partir du jour où le système n’est plus applicable, l’Italie a cessé d’exister, ou marche du moins d’un pas rapide vers la mort qui l’attend. Il faut être bien sûr de posséder la vérité, et par