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REVUE. — CHRONIQUE.

sommes dans la partie vraiment neuve de l’ouvrage : cette période et les suivantes, auparavant si mal comprises, y sont mises en lumière avec un rare bonheur. Ces vaincus de la veille, internés au milieu de leurs vainqueurs, sont encore redoutables ; si on leur a pris leurs armées et leurs châteaux, ne leur a-t-on pas laissé leurs terres, leurs palais et leurs serfs ? Riches entre les riches, aristocrates de naissance, ils raillent sans pitié cette aristocratie de fortune « qui surfait dans ses comptes, vole dans ses boutiques et a des origines héroï-comiques. » Leurs palais à la ville deviennent des forteresses ; ils les flanquent de tours, ils inaugurent une guerre civile sans issue possible, car ici les deux termes sont irréductibles, et s’attachent dans le nord de l’Italie à l’empereur, dans le midi au pape, parce que dans le nord les citoyens sont guelfes et dans le midi gibelins. Encore une forme du dualisme italien !

Il semble que ce devrait être la ruine de l’Italie. Admirez la vitalité de ce peuple. « Chaque tour qui tombe est remplacée par un palais qui surgit ; chaque forteresse que l’on rase laisse plus libre la végétation de la campagne ; les soldats deviennent des laboureurs, les serfs des citoyens ; les masures se transforment en villages, et il n’y a pas de vaincus. Le dur châtelain dont on renverse les donjons voit ses fonds prospérer ; ses repaires disparaissent, ses rentes sont décuplées. Quand le citoyen se rue sur un concitoyen, la victoire lui livre des lois, des douanes, des péages, des routes, des communications qui doublent son commerce. Quand le concitoyen se venge en levant la main sur les consuls, il sème l’or dans la plèbe. Pas une goutte de sang qui ne devienne le germe d’une liberté nouvelle ! »

Ces luttes intestines et de ville à ville, que n’apaise point l’institution du podestat, magistrat étranger, ne tardent pas à rapprocher de l’une à l’autre cité les hommes qui soutiennent la même cause. Apparaît alors pour la première fois ce nom fameux de guelfes et de gibelins qui a eu une si grande fortune dans l’histoire. C’est l’époque où « les rencontres de hasard deviennent des batailles préméditées, où l’on proscrit les hommes, où l’on rase les palais avec une fureur sans pareille, où la question est de savoir si la république sera aristocratique ou démocratique, féodale ou mercantile, où tout sert à la contradiction des partis, depuis la manière de couper l’ail et les pommes jusqu’à celle de porter l’épée. » Le pape est nominalement le chef de la démocratie et des guelfes, l’empereur celui de la féodalité et des gibelins ; mais de sa personne l’empereur est quelquefois guelfe et le pape gibelin. À ces contradictions, qui ne s’arrêtent pas aux têtes couronnées, tout le monde trouve son compte. Le triomphe des guelfes, c’est l’introduction des arts et métiers dans la société officielle ; celui des gibelins, c’est l’élévation de la canaille par les tumultes des ciompi, des piccolini, des senza braghe, ou sans-culottes. La querelle prend alors des formes politiques et précises : les gibelins accusent les guelfes d’être des démagogues ingouvernables, de propager le massacre et l’incendie ; les guelfes attaquent les mystères de la raison d’état, la fausse liberté de la féodalité, une légalité menteuse, le peu de souci qu’ont leurs adversaires du sort du genre humain, cela non-seulement en Italie, mais dans toute l’Europe.

Que la durée de ces guerres civiles et municipales ait amené la substitu-