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REVUE. — CHRONIQUE.

à Londres, ne laissant à Paris que la réputation d’une cantatrice inégale et fiévreuse, maladie que lui avait inculquée la mélopée violente de M. Verdi.

Que j’en ai vu mourir, de jeunes filles…

pour avoir trop aimé cette mélopée-là ! Mme Penco avait reçu du public de Paris une leçon qu’elle n’a pas oubliée sans doute, car elle nous est revenue avec des qualités qu’elle ne possédait pas et qui ne peuvent que s’agrandir. Sa voix est un soprano étendu, d’une égalité au moins suffisante, d’un timbre chaud, et j’oserais presque dire affectueux. Sa vocalisation, brillante et souvent audacieuse, laisse à désirer une plus grande perfection, particulièrement dans les gammes chromatiques, dont elle effleure les intervalles sans les étreindre. D’ailleurs n’abuse-t-elle pas de ces ornemens d’opéra-comique qui ne sont pas toujours à leur place, même dans le style de convention que se sont fait les cantatrices italiennes ? Il faut savoir vocaliser, être maître de son instrument et pouvoir en tirer tous les effets nécessaires, car on n’est un chanteur qu’à ce prix ; mais le goût, c’est-à-dire la raison, doit diriger l’artiste dans l’emploi de ces ornemens, qui ne conviennent ni à tous les personnages, ni à toutes les situations. Ce que Mme Penco fait à merveille, c’est le trille, ce battement de deux sons rapprochés qui rappelle le tressaillement joyeux de l’alouette. Mme Penco fait durer longtemps cette prouesse, passant tour à tour du piano au forte, et illuminant la salle de son gorgheggio passionné et phosphorescent. Ce sont là toutefois des détails de mécanisme qui ne constituent pas le vrai mérite de Mme Penco. C’est par l’accent maternel, par une sensibilité exquise et pénétrante, qui rappelle volontiers le diapason de Mme Ristori, que se distingue Mme Penco. Elle chante avec son âme, trop peut-être pour ne pas dépasser quelquefois la mesure de cette vérité relative qu’il convient à l’art de traduire. Ce beau rôle de la Norma, qui fut composé à Milan pour Mme Pasta, Mme Grisi se l’était approprié, et y a déployé les plus grandes qualités de sa belle et somptueuse nature ; mais si Mme Grisi avait la force, l’ampleur et la splendide vocalisation que nous lui avons connues, si elle réussissait dans l’expression du dédain et de la colère, elle manquait de finesse, et n’a jamais eu la profonde sensibilité qui distingue Mme Penco. Nous le répétons, il y a dans le talent vrai et sincère de Mme Penco quelques-unes des intonations pathétiques de Mme Ristori, surtout dans la scène finale du second acte :

Qual cor tradisti !
Qual cor perdisti !


phrase divine qu’elle dit à mezzo voce, en refoulant les sanglots qui l’étouffent. Puis sa douleur éclate à la conclusion de cet andante, digne du sentiment éternel qu’il exprime :

Sul rogo istesso
Che mi divora
Sotterra aucora
Sarò con te.

Ce sont des larmes, de vraies larmes, je vous l’assure, qui roulent alors