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cher beaucoup plus de la vérité que toutes les appréciations timides du public littéraire.

Le jugement de cette honnête femme étonnera certainement l’auteur, car son intention, en écrivant Fanny, a été précisément de faire un acte de haute moralité. Il a voulu montrer les douleurs de l’adultère, les conséquences horribles qu’il entraîne après lui, et dans son indignation résolue, ne se contentant pas des châtimens connus, il a voulu infliger à ce crime une punition d’un genre tout nouveau. M. Feydeau a voulu remplir un rôle de justicier, son éditeur l’affirme, et lui-même, pour lever tous les doutes du lecteur à cet égard, a commencé par placer son livre sous la protection de la morale divine et par invoquer l’autorité des saintes Écritures. Ce livre, surprenant à tant de titres, s’ouvre par deux surprenantes épigraphes. La première est tirée de saint Matthieu : « En vérité, je vous dis que vous ne sortirez pas de là que vous n’ayez payé jusqu’à la dernière obole. » Vraiment! jusqu’à la dernière obole! C’est bien cher. La seconde épigraphe est tirée de l’Ecclésiaste : « Celui qui creuse une fosse y tombera, et celui qui renverse une clôture sera mordu par un serpent. » Traduction vulgaire : « Qui s’y frotte s’y piquera. »

Quoi qu’il en soit, ces épigraphes nous annoncent que M. Feydeau a pris sa thèse au sérieux, que le livre qu’il nous offre n’a rien de badin ni de léger. Si donc il fait décrire par le héros de son histoire les plaisirs qu’il éprouve avec trop de complaisance, c’est pour mieux faire comprendre combien la privation de ces plaisirs ajoutera à son châtiment. Les scènes de bonheur licencieux n’abondent que pour mieux faire saisir l’étendue et la profondeur de ce châtiment. Il faut donc nous attendre à du tragique, si les épigraphes ne sont pas menteuses. Quel enfer dantesque, quelle géhenne biblique, quels limbes swédenborgiens allons-nous contempler? — Les châtimens ordinaires de l’adultère, avons-nous dit, n’ont pas suffi à M. Feydeau, et Dieu sait pourtant qu’ils sont assez variés et assez redoutables. On peut avoir affaire à un mari peu commode qui vous fera payer vos plaisirs volés avec trois pouces de fer bien affilé, ou en logeant un peu de plomb dans votre trop ardent cerveau; on peut avoir à répondre de sa conduite devant un tribunal qui, en vertu de lois peu romanesques, vous infligera une prison ridicule, et il est des châtimens beaucoup moins doux encore. Grâces à vous, la femme que vous avez compromise portera peut-être toute sa vie le poids de sa faute. Assassin involontaire, peut-être briserez-vous le cœur de l’homme que vous avez outragé. Enfin, vous qui n’avez cherché qu’un plaisir égoïste, vous pouvez vous trouver chargé pour toute la vie d’une femme qui n’est pas la vôtre et qui vous suivra par-