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assuré et des secours de tout genre. Si l’amiral eut un tort dans cette circonstance, ce fut de consulter ses capitaines. Des gens que l’on consulte, même parmi les plus braves, font toujours des objections, ne fût-ce que pour mettre leur responsabilité à couvert. Mon sentiment à moi ne pouvait être douteux : « je répondais à l’amiral non-seulement de mon vaisseau, mais du vaisseau anglais que j’aurais par mon travers. » Ce n’était point là, je voudrais bien qu’on en fût convaincu, le langage d’un fanfaron; c’était le cri de l’honneur blessé, protestant contre une longue humiliation dont le terme me semblait enfin arrivé. Notre organisation sous tous les rapports était excellente. Il y avait tel vaisseau parmi nous qui n’eût rien envié, pour les exercices militaires, pour les dispositions les plus minutieuses qui précèdent le combat, aux meilleurs bâtimens de nos jours. D’ailleurs, pour se bien battre, il ne faut pas tant de finesse et de subtilité qu’on le pense, et quoique j’aie le plus grand respect pour les gens habiles, je crois encore que dans la guerre les plus habiles seront souvent les plus audacieux, car seuls ils conserveront toute leur clairvoyance et tout leur sang-froid à l’approche du danger. Je suis donc convaincu que si notre intrépide amiral, qui avait habitué son escadre à mettre sous voiles à toute heure, n’eût dit son secret à personne et eût fait une belle nuit le signal d’appareiller, s’il nous eût conduits ainsi à l’entrée de la baie de Douarnenez en ordonnant simplement le branle-bas de combat, la présence de l’ennemi et le courage français eussent fait le reste. Il n’y avait point là de manœuvres savantes à exécuter; il ne s’agissait que d’attaquer des vaisseaux à l’ancre, de les attaquer à l’improviste et dans la situation la plus défavorable où des bâtimens puissent se trouver. Quoi qu’il en soit, à partir de cette délibération, les Anglais agirent comme des gens informés secrètement de nos projets. Ils se tinrent plus fréquemment sous voiles : lorsqu’à de rares intervalles ils se hasardèrent encore à jeter l’ancre, ce ne fut plus qu’à l’entrée de la baie et dans une position qui indiquait qu’ils étaient sur leurs gardes et prêts à appareiller à la première alarme. Cette belle occasion de rendre à notre pavillon quelque lustre se trouva donc manquée, et notre amiral ne s’en consola jamais. Qu’importait cependant cette déception nouvelle, si déjà nous en étions venus à considérer comme heureuse la chance qui nous ferait rencontrer les Anglais à forces égales ou avec de faibles avantages? Notre nouvelle marine était l’œuvre de quatre ou cinq années. Si le destin lui en accordait quatre ou cinq autres, elle cesserait d’être une arme secondaire; elle redeviendrait ce qu’elle était au temps de Louis XVI, la véritable épée de la France.

Déjà cependant l’empire était entré dans sa période décroissante. A la campagne de Saxe allait succéder la campagne de France. Nous