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II.

En 1809, on n’était point prodigue de faveurs envers la marine; mais je dois dire aussi qu’on ne recherchait pas ces récompenses avec une ambition démesurée. La modération de nos vœux ne venait pas seulement de la modération de notre caractère : elle prenait plutôt sa source dans le prestige dont l’opinion publique entourait alors des positions qu’on a fini par considérer aujourd’hui comme des positions subalternes. Le grade de colonel était le plus beau grade de l’armée; celui de capitaine de vaisseau, le plus beau grade de la marine. Je me crus donc magnifiquement payé du combat des Sables par le commandement d’un vaisseau de quatre-vingts canons. Ce bâtiment, pareil à celui qui avait porté le pavillon de l’amiral Latouche-Tréville, se nommait le Borée. Je reçus l’ordre d’aller l’armer à Lorient, et j’obtins la faveur bien précieuse d’emmener avec moi les marins de la Créole, qui formèrent ainsi le noyau de mon nouvel équipage. Vers la fin du mois d’avril, quelques jours après le désastre de l’île d’Aix, je partis des Sables à la tête de ces braves gens, tout heureux de ne pas séparer leur fortune de celle de leurs officiers et de leur capitaine. Nous cheminâmes ainsi à petites étapes, et dans les premiers jours de mai 1809 nous arrivâmes au lieu de notre destination. L’accueil que nous reçûmes partout sur notre passage, particulièrement celui que nous trouvâmes à notre entrée à Lorient, étaient bien faits pour flatter notre amour-propre. La musique du régiment d’artillerie de marine nous attendait à Kérautré, où s’était déjà réunie toute la population de Lorient. Arrivés sur le Champ-de-Bataille, nos marins furent passés en revue par le préfet maritime, qui leur adressa une allocution chaleureuse et les félicita, dans les meilleurs termes, de leur belle conduite. Cet excellent homme ne s’en tint pas là. Le 12 mai 1809, il écrivit au ministre de la marine une courte dépêche que je ne puis m’empêcher de citer, car je la regarde comme la meilleure pièce de mon dossier. « J’ai l’honneur de vous annoncer, disait-il à l’amiral Decrès, que l’état-major, ainsi que l’équipage de la frégate la Créole, au nombre de trois cent vingt hommes tout compris, est arrivé hier après-midi en ce port... Le capitaine de vaisseau P. J..., qui m’a remis cet équipage dans le meilleur état, n’a pas perdu un seul homme, parce que chacun de ses marins, lui étant dévoué, n’aspire qu’au bonheur de se trouver de nouveau au poste d’honneur sous ses ordres. »

Si j’avais mis peu d’empressement à faire valoir mes droits aux faveurs du ministre, je ne me croyais pas autorisé à montrer le même désintéressement pour les officiers qui m’avaient si bien secondé. J’avais donc adressé à l’amiral Decrès de nombreuses de-