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défiant pendant cinq jours de suite l’ennemi de recommencer. Le vaisseau anglais qui avait supporté presque seul tout le poids de l’action laissait entre nos mains un gage de sa brusque retraite : son ancre et soixante-quinze brasses de câble. J’ignore pour quel motif le rapport officiel publié sur cette affaire par l’amirauté anglaise essaya d’établir que le Defiance avait mouillé à 600 mètres de nos bâtimens. Heureusement pour la réputation du capitaine Hotham et pour la nôtre, le Defiance avait laissé sur la rade des Sables un témoignage irrécusable de l’espace qui le séparait de la Créole. La bouée de l’ancre dont il avait coupé le câble n’était qu’à trente brasses de celle de la frégate. J’en avais déjà la conviction, mais le combat que je venais de soutenir me le prouvait bien mieux encore. Depuis que nous avions raffermi la discipline dans notre flotte, les Anglais ne nous étaient pas supérieurs. Ils avaient sur nous l’ascendant que donne une longue série de victoires, la confiance qu’inspire l’avantage du nombre. Ils savaient qu’au bruit du canon quelque auxiliaire ne tarderait pas à leur venir en aide, tandis que toute voile inconnue nous était à l’avance suspecte. La guerre offrait donc à l’ennemi tout l’attrait et toutes les ressources que présente la guerre offensive; mais le jour où nous eussions eu une marine numériquement comparable à la sienne, — et pourquoi ne l’aurions-nous pas eue sous l’empire aussi bien que sous le règne de Louis XVI ou sous celui de Louis XIV? — ce jour-là, de braves gens n’auraient plus eu d’excuses pour se laisser battre, et la palme eût, suivant la devise de Nelson, appartenu au plus digne.

Nos frégates, dont les câbles avaient été coupés par le feu de l’ennemi, s’étaient échouées vers la fin du combat. Aussitôt que les vaisseaux anglais se furent éloignés, je m’occupai de les remettre à flot, car je m’attendais à une nouvelle attaque. Le jour même, à dix heures du soir, la Créole, la Revanche et la Concorde avaient repris leurs postes à deux encablures environ de la plage. Au lever du soleil, on aperçut des bâtimens ennemis qui s’étaient établis en croisière, à quelques lieues au large. La saison devenait chaque jour moins rigoureuse. Nous devions donc nous attendre à être gardés à vue jusqu’au retour de l’hiver, ou jusqu’au moment où l’escadre de Rochefort se chargerait de nous débloquer. La rade des Sables n’est pas tenable avec les vents du large. Il n’y avait qu’un parti à prendre pour sauver nos frégates : c’était de les faire entrer, après avoir réduit leur tirant d’eau, dans la petite darse des Sables. Là, nos bâtimens, échoués sur la vase pendant une partie de la marée, attendraient tranquillement une circonstance favorable qui permît de les conduire à Rochefort, à Nantes ou à Lorient. Je fis mettre à l’instant en réquisition tous les bateaux de pêche du pays, et l’on travailla avec ardeur au débarquement des poudres, de l’ar-