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implacable esprit la vie de son fils unique, héritier d’un grand nom, déjà investi du rang de chef de la famille, et qui mourait au fond de son palais dans les accès d’une terrible frénésie. Quand Malli-Rao eut cessé de vivre, il sembla que tous les gens de cette petite cour respirassent plus librement.

Veuve et privée de son fils, Alya-Bhaïe se vit bientôt environnée de sourdes intrigues, mais elle sut déployer un courage au-dessus de son sexe. Un brahmane placé jadis comme ministre auprès de Molhar-Rao-Holkar par le peshwa cherchait à écarter Alya-Bhaïe en la reléguant dans une ville éloignée : les biens de Holkar eussent été dévolus en héritage à quelque enfant de la famille, et l’autorité fût restée entre les mains de ce ministre, devenu régent. Alya-Bhaïe refusa d’accéder à cet arrangement. Lorsque l’ambitieux brahmane déclara que l’affaire était déjà conclue avec Ragounâth, oncle du peshwa Madhou-Rao, et qu’une somme d’argent avait été envoyée à celui-ci pour obtenir son concours, la princesse veuve ne lui répondit que par un sourire de pitié ; elle sentait que l’armée serait pour elle contre le ministre traître à la mémoire de ses maîtres. Bientôt Ragounâth reçut de cette femme énergique un message presque menaçant qui se terminait par ces mots : « Gardez-vous de faire la guerre à une femme ; il vous en reviendrait de la honte peut-être, de l’honneur jamais[1] ! » Décidée à la résistance, Alya-Bhaïe fit appel aux troupes. Les vieilles bandes de Holkar répondirent avec enthousiasme à ce noble élan de leur princesse; elles aimaient cette femme au grand cœur, qui parlait déjà de se mettre à leur tête pour protéger ses états contre toute intervention du dehors. Tandis que les soldats prenaient les armes, Alya-Bhaïe fit placer le houddah sur son éléphant favori, et à chacun des quatre coins de ce trône guerrier elle suspendit un carquois rempli de flèches. Cette démonstration un peu théâtrale eut un plein succès. Le peshwa ordonna à son oncle Ragounâth de ne rien entreprendre contre la princesse veuve, qui administra en pleine liberté et avec un rare talent les états de Holkar.

Résolue à se renfermer dans l’administration civile, Alya-Bhaïe confia le commandement de l’armée et la direction des affaires militaires à Touka-Dji, chef des troupes d’élite attachées à la personne du vieux Molhar-Rao. Sorti de la même tribu que celui-ci, il se fit connaître sous le nom de Touka-Dji-Holkar, et perpétua ainsi, en le portant lui-même avec honneur, ce nom déjà célèbre qui devait encore briller durant un demi-siècle. Touka-Dji avait atteint l’âge mûr quand il fut appelé à diriger les affaires de la famille Holkar; cepen-

  1. Voyez les Mémoires de sir John Malcolm sur l’Inde centrale.