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Un jour Malli-Rao, qui se plaisait à tourmenter les brahmanes, fit cacher des scorpions dans des pots remplis de pièces de monnaie. Appelant alors les prêtres auxquels sa mère témoignait le plus de respect : — Mon aïeul, leur dit-il, avait coutume de dire au soldat qu’il voulait récompenser : Remplis ton bouclier de pièces d’argent. Ma générosité envers vous n’est pas moins grande ! Avancez donc la main, ô deux-fois-nés, et puisez dans ces vases autant qu’il vous plaira. — Les brahmanes plongèrent le bras dans les pots, irritant ainsi les dangereuses bêtes cachées sous les pièces d’argent et qui se vengèrent par de cruelles morsures. Le malin idiot riait de tout son cœur; il s’amusait autant des larmes qu’arrachait à sa mère cette barbare plaisanterie que des cris de douleur poussés par les brahmanes. C’était là un de ces tours qui ne réussissent qu’une fois; mais Malli-Rao avait trouvé trop de plaisir à ce jeu pour ne pas le renouveler sous une autre forme : il fit ramasser une quantité de scorpions que l’on glissait par ses ordres dans les vêtemens des brahmanes. Les graves personnages que le jeune fou persécutait ainsi ne tardèrent pas à être vengés ; peut-être même se partagèrent-ils les rôles dans la tragi-comédie qui mit fin aux jours de Malli-Rao.

Le petit-fils de Molhar-Rao-Holkar donnait depuis quelque temps des signes non équivoques d’aliénation mentale : on le voyait passer sans transition de la joie à la fureur. Ayant aperçu un homme qui sortait de son palais, il se précipita sur lui et le tua. Cet homme était un brodeur qui venait de porter aux servantes de sa mère un vêtement commandé par celle-ci, et le jeune prince croyait voir en lui un séducteur qui s’échappait furtivement de l’appartement des femmes. Cet événement fit grand bruit au palais. On proclama l’innocence de la victime en termes si énergiques, que le prince insensé trembla comme un enfant devant les accusations de meurtre qui s’élevaient contre lui. A la vue du sang qu’il venait de verser, Malli-Rao fut décidément frappé de folie. Alya-Bhaïe, en proie aux plus vives alarmes, cherchait vainement à calmer les fureurs insensées de son fils. Quand elle interrogeait les brahmanes, ceux-ci répondaient : « Le brodeur possédait une science surnaturelle, il a ensorcelé Malli-Rao ; qu’y pouvons-nous? » Ceux-là disaient: « La victime a pris la forme d’un esprit pour entrer dans la personne de son meurtrier et le hanter jusqu’au dernier jour! » Cet esprit malin qui possédait son fils, Alya-Bhaïe croyait l’entendre parler; elle le conjurait de s’éloigner et promettait de combler de richesses la famille du brodeur. La voix répondait : « Il a eu ma vie, j’aurai, la sienne; l’innocent a péri, le meurtrier ne doit pas vivre! » Pendant bien des jours et bien des nuits, la mère éplorée disputa à cet